Héraldique napoléonienne et symbolisme maçonnique. 

de Jacques Declercq

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La science des nombres, ou gématrie, omniprésente en maçonnerie comme dans la kabbale, est également cryptée dans l'héraldique.

A titre d’exemple, voici l’écu des Drouet d’Erlon, où se déploie remarquablement le nombre 33, âge du Christ et nombre des grades de l’écossisme.

Ces armes se lisent ainsi : « Ecartelé : au 1er, d’argent chargé du canton des comtes militaires, à cinq trèfles d’azur rangés autour en orle ; au 2ème, de gueules au lion d’argent ; au 3ème, de gueules au chevron d’argent accompagné de trois étoiles du même ; au 4ème, d’argent à cinq trèfles d’azur entourant un écu du même ».

 

 

Le trèfle à trois feuilles représente les trois statuts opératifs de l’apprenti, du compagnon et du maître. Groupés par cinq, ils symbolisent les cinq sens qui servent à appréhender la connaissance, le logos. Multiplier les trois feuilles par les dix trèfles donne trente auquel il suffit d’ajouter les trois étoiles pentagrammatiques pour obtenir les trente-trois degrés ou les trente-trois ans.

Ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres, mais la gématrie appliquée à l’héraldique peut donner la clé de bien des identités.

 

La grenade, qu’elle soit militaire, comme ici dans l’écu Lepic, ou qu’elle soit fruit, comme dans les armes de Lepaige d’Orsenne, rencontre un grand succès sous l’Empire.

Ornement des colonnes du Temple de Salomon ou arme depuis le feu grégeois jusqu’à nos jours, que ce soit pour disperser des graines de vie ou des éclats mortels, elle éclate, d’où la signification qu’elle revêt dans le sens des forces élémentaires qu’il faut apprendre à maîtriser. C’est à la fois un symbole de fécondité , de postérité nombreuse, et un symbole des douceurs maléfiques. C’est pour avoir mangé un pépin de grenade que Perséphone passera un tiers de l’année dans l’obscurité brumeuse et les deux autres tiers auprès des Immortels.

 

 

La hache, l’un des symboles majeurs du 22ème degré écossais, Chevalier de Royal Hache, Prince du Liban, se retrouve également surmontant, comme pour la fendre, la pierre cubique à pointe. Elle est donc symbole de différenciation.

Son manche figure l’axe polaire ainsi que l’évoque le nom anglais de la hache : poleaxe.

Le prophète Elisée, selon le 1er Livre des Rois (6-5), est l’auteur de la flottation de la hache dans le Jourdain, annonciatrice du Précurseur, Jean le Baptiste, et du sort qui l’attend.

La symbolique chrétienne reste maîtresse de l’outil du charpentier de Nazareth, qui a aussi appris le métier à son fils.

 

 

        

 La lune se rencontre le plus souvent figurée sous forme de croissant. Sa très ancienne signification plonge ses racines dans le paléo-christianisme ; ne représentait-on pas le crucifié entouré de Marie et de Jean surmontés de la Lune et du Soleil ? Vision qui n’est pas sans rappeler les liens et le jeu de miroir entre microcosme et macrocosme.

De multiples représentations lunaires sont illustrées dans le système pythagoricien.

Il suffit au maçon de se tourner vers l’orient pour y voir la lune en son premier quartier, c’est-à-dire en phase croissante qui est celle favorable aux choses de l’esprit et à l’initiation.

 

 

 

Mais à côté des croissants, on la rencontre aussi dans sa phase pleine, et je ne peux résister à vous montrer ceci. Il s’agit du blason du 21ème degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté, Noachite ou Chevalier Prussien. Ces armes se lisent ainsi : « Coupé ; au 1er, d’azur à la lune d’argent entourée d’étoiles d’or ; au 2ème, au triangle équilatéral évuidé d’argent et à la flèche du même, empennée d’or ».

Comparez-les avec les armoiries du sénateur comte Joseph-Louis Lagrange : « de sable au triangle équilatéral évuidé d’or surmonté d’une lune d’argent ; au franc-quartier des comtes sénateurs ».

Si ce n’est pas du plagiat, c’est quand même bien imité.

 

Dois-je présenter le maillet ? Le Vénérable et les deux surveillants l’emploient pour gouverner la loge dans tous les rites pratiqués sous l’Empire.

L’usage rituélique de trois maillets par la loge a donné à ce modeste outil une valeur emblématique de pouvoir partagé et juste. Symbole de l’énergie agissante, il représente l’activité formatrice ou démiurgique.

 

 

Il figure, trois fois répété, dans ces armes du baron Lameth, même s’ils sont partiellement dissimulés derrière le franc-quartier brochant des barons préfets.

Voyez aussi cette belle figuration d’une chouette accompagnée de deux maillets dans les armes du chevalier Rousseau.

La montagne, qui sert de toit du monde, permet à celui-ci d’atteindre symboliquement les couches inférieures du plérôme.

 

 

Sa représentation héraldique adopte la silhouette d’un triangle, la pointe vers le haut.

Présente effectivement ou implicitement dans plusieurs degrés maçonniques, tant écossais que de la Sainte Arche Royale avec le mont Moriah, elle contient la caverne dans laquelle médite le candidat à l’initiation. A la fois lieu de sépulcre et lieu de renaissance, elle contient le noyau d’immortalité comme le montre la kabbale juive.

 

 

Le niveau est un élément important du symbolisme maçonnique.

Il est constitué d’une équerre juste au sommet de laquelle est suspendu un fil à plomb. Si son but essentiel est de déterminer l’horizontale, il n’en donne pas moins en même temps la verticale.

Les applications sociales ou morales de son symbolisme aux notions d’égalité ou de nivellement sont d’une évidente insuffisance.

Il convient donc d’envisager ce symbolisme sur un plan supérieur.

 

L’œil, rare dans l’ancienne héraldique, devient plus fréquent après 1808. Commun au christianisme et à la franc-maçonnerie, il s’inscrit dans un triangle où il peut être remplacé par le Nom Ineffable.

Certains rites disposent parfois sur la paroi orientale de la loge un delta comportant un oeil. Bien évidemment, en Maçonnerie comme dans les traditions chrétienne et juive, il s'agit là du symbole de la divinité que l'on désigne sous le nom de Grand Architecte de l'Univers. Ce triangle équilatéral se caractérise aussi comme l'emblème de la nature divine du Christ et comme tel il symbolise le feu ou principe, le cœur ou la fusion de l'âme en Dieu.

Le symbole de l’œil qui figure parfois au centre du delta se retrouve en d'autres traditions. Ainsi en Inde, au Népal, au Tibet, au Bhoutan, les deux yeux représentent le soleil et la lune ou les deux regards de Vaishvanara dirigés vers le visible et l'invisible, vers le terrestre et le céleste. L’œil unique fait pendant au Troisième Oeil. Non visible, il correspond à la perception intérieure de la réalité qui conduit à la manifestation de l’œil du Cœur, ce qui s'exprime par l'acte simultané en lequel Dieu voit l'homme et l'homme voit Dieu. Cet état relevant de la surhumanité, dépassant le visible, était, pour Hildegarde de Bingen, le symbole de "l'essence et de la connaissance divine."

 

 

Organe de la perception sensible, il est naturellement celui de la perception intellectuelle. Dans la tradition maçonnique, il symbolise sur le plan physique le soleil visible d’où émane la vie et la lumière, sur le plan intermédiaire, le Verbe, Logos ou Principe créateur, et sur le plan spirituel, le Grand Architecte de l’Univers.

En loge, l’œil qui voit tout occupe implicitement, même s’il n’y est pas figuré dans le triangle, une place centrale entre les deux yeux visibles de la lune et du soleil, exactement comme la deisis grecque symbolise l’œil du cœur et de la connaissance pure acquise par l’amour.

Les deux yeux ne sont guère matérialisés en Maçonnerie mais ils restent omniprésents dans le cheminement initiatique du Cherchant car ils symbolisent sa vision dualiste ou mentale comme sa dépendance au binaire. Tout le parcours symbolique du maçon va s'accomplir à partir de cette perception."

 

Le pélican est un meuble héraldique très ancien. Mais la période de 1808 à 1814 développe plus particulièrement quelques aspects de son symbolisme. Il est en effet systématiquement représenté avec sa piété, s’ouvrant le ventre pour en nourrir ses petits, reproduisant exactement le bijou du 18ème degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté, grade de Souverain Prince Rose-Croix, également 7ème et dernier degré du Rite Français.

Symbole de l’amour paternel, comme oiseau aquatique il symbolise la nature humide disparaissant sous l’effet de la chaleur solaire et renaissant en hiver, ce pourquoi son image fait parfois pendant au phénix renaissant de ses cendres.

Dans les armes du baron Flosse, il est même surmonté d’une rose !

 

 

 

Ce parchemin déroulé dans les armes Boissonnet, sur lequel se détache un pentagone ne représente-t-il pas la planche à tracer ?

Support du plan tracé par les maîtres, la planche à tracer contient en puissance l’édifice du temple de l’humanité.

Le pentagone qui s’y trouve ici inscrit, face de dodécaèdre, nous renvoie à l’étoile à cinq branches dont il constitue le cœur.

 

Les armoiries ont de tous temps porté des planètes et des corps célestes. J’ai déjà évoqué la lune et les étoiles ; bientôt, nous aborderons le soleil.

 

Les loges sont abondamment ornées de planètes au nom de la parabole annonçant que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ; et le grade de Chevalier du Soleil, 28ème degré, fait directement allusion aux sept planètes traditionnelles.

L’héraldique napoléonienne en hérite en ajoutant des planètes au naturel, fort prisées depuis la découverte d’Uranus par Herschel en 1781.

A l’image de son origine antique, l’Empire prétend représenter sur Terre l’ordre du cosmos sans réveiller toutefois la notion de droit divin.

 

Voyez les armoiries du frère Laplace, mathématicien et astronome, dans lesquelles apparaissent Jupiter et Saturne, avec leurs satellites et anneau, ainsi que le soleil.

 

 

 

Le pont remonte aussi à la plus ancienne antiquité armoriale, véhiculant au propre comme au figuré des notions encore plus anciennes dont s’inspire le frère Goethe dans son roman « Le Serpent Vert ».

Le pont évoque le passage de la terre au ciel, de l’état humain aux états supra-humains, de la contingence à l’immortalité, du monde sensible au monde supra-sensible.

Il peut symboliser l’arc-en-ciel, et est bien présent au 15ème degré, Chevalier d’Orient, tout en étant perceptible au 22ème degré, Prince du Liban.

Les ponts que l’on rencontre dans les légendes de la Table Ronde comme dans les légendes iraniennes sont des passages difficiles, larges pour les justes, étroits comme une lame de rasoir pour les indignes.

Deux éléments se remarquent donc ici : le symbolisme du passage et le caractère fréquemment périlleux de celui-ci, caractéristique de tout voyage initiatique.

 

Nouveauté héraldique, la pyramide appartient au registre des mythes fondateurs de l’Empire. Elle semble réservée aux vétérans, tant civils que militaires, de la campagne de 1797 en Egypte.

Symbole ascensionnel, elle est l’image la plus parfaite de la synthèse. Son symbolisme se rattache aussi à celui de la montagne.

Au terme de l’ascension pyramidale, l’initié atteint l’union au Verbe, comme le pharaon défunt, au creux de la pierre, s’identifie au dieu immortel.

L’égyptomanie a produit la naissance du rite égyptien de l’Ordre sacré des Sophisiens et de la Souveraine Pyramide des Amis du Désert, un des rites à l’origine des rites de Memphis et de Misraïm.

Nul doute que les maçons titrés de l’Empire établiront un lien entre la pyramide et la pierre cubique à pointe.

 

 

 

Guénon appelait la rose, le lotus de l’occident, l’un et l’autre étant très proches du symbolisme de la roue. Reprise dans les armes de Luther et du mythique Christian Rosenkreutz, elle a été transmise à des hauts grades de sociétés des Lumières. Symbole de régénération, je l’ai déjà évoquée en parlant du pélican du 18ème degré.

Elle connaît un grand succès dans l’héraldique napoléonienne.

Le frère Goethe, encore lui, a écrit, dans son poème « Les Mystères » : « La croix est enlacée étroitement de roses. Qui donc a marié des roses à la croix ? ». On peut se poser la même question en voyant le blason des Jacquinot.

 

L’héraldique napoléonienne utilise souvent des meubles représentant des bâtiments en ruine, que ce soit des tours, des châteaux, des murailles ou même des maisons ordinaires. Plusieurs lectures peuvent se faire de leur symbolisme.

Si on se place au niveau maçonnique, on constate que les tabliers des maîtres de l’époque montrent souvent un temple dont on ne sait s’il est en ruine ou en construction. Les ouvriers sont censés se construire ontologiquement en même temps qu’ils élèvent le temple.

 

 

 

Hiram désigne les travaux épars. En somme, la ruine représente l’état de la créature qui n’a pas encore reçu la lumière symbolique. Le renversement de la chronologie montre la ruine comme l’état provisoire du bâtiment en cours de reconstruction symbolique en vue d’atteindre la perfection voulue par le Grand Architecte de l’Univers.

 

Le sapin, cet arbre toujours vert évoqué lors de la fête solsticiale de la Saint-Jean d’hiver, est aussi présent. Comme le laurier d’Apollon, il est symbole d’immortalité, mais celle-ci est suggérée plus précisément sous sa forme de puissance vitale. La pomme de pin est le sceptre de Dionysos, frère d’Apollon. Le pin est associé à l’exaltation de la vie et à la glorification de la fécondité. Il est à Dionysos ce que le laurier est à Apollon.

J’ai relevé, parmi d’autres, ce sapin chargé d’un triangle et d’un compas dans le blason Deschamps.

 

Le soleil revient aussi fréquemment. J’en ai déjà touché un mot en parlant de l’aigle et des planètes. Il figure à l’orient des temples et le titre du 26ème degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté, Chevalier du Soleil, lui est consacré.

 

Le serpent, symbole de prudence, de santé, de guérison, de longue vie et de résurrection, ressemble, en quittant sa peau tous les ans, au monde qui se renouvelle tous les printemps.

Dualisme du symbole, le serpent fut aussi considéré comme néfaste depuis qu’il tenta Eve au Paradis Terrestre.

 

 

 

J’ai déjà évoqué le grade de Chevalier du Serpent d’Airain. Le livre des Nombres rapporte que des serpents terrestres envoyés par Dieu firent périr beaucoup de monde en Israël mais que le peuple élu retrouva la vie par le serpent lui-même.

A côté de ce serpent représenté classiquement ondulant, l’héraldique napoléonienne le représente aussi se mordant la queue, enroulé en forme de cercle qui n’a ni commencement ni fin.

L’ouroboros du blason Brayer renferme à la fois les idées de mouvement, de continuité, d’autofécondation et, en conséquence, d’éternel retour.

 

Je dois terminer ici cette revue des meubles héraldiques évoquant la franc-maçonnerie.

J’aurais pu aussi envisager, toujours en relation avec l’Ordre maçonnique, du symbolisme des couleurs, de celui de la disposition des pièces et de la géométrie de l’écu.

Tout ceci prouve à suffisance l’influence maçonnique sur l’héraldique napoléonienne.

Mais ce ne fut pas la seule source d’inspiration de Cambacérès.

 

En fait, les grands courants de la pensée métaphysique, depuis la plus haute antiquité jusqu’aux Lumières du XVIIIème siècle, se rencontrent dans les écus des grognards. Les religions orientales et nordiques, le fond légendaire celtique y figurent aussi, ainsi qu’en témoigne cette représentation de Mélusine, à côté du naturalisme ou de l’héraldique imaginaire des romans de la Table Ronde.

 

 

 

L’immense érudition de Cambacérès, héritier authentique des Encyclopédistes et précurseur des scientifiques du XIXème siècle, lui permet de marier les meubles les plus divers évoquant les sagesses orientales ou antiques, tels (Estève) Isis, l’ouroboros, le taureau (de Mithra ?), Hercule, Minerve, le caducée et autres, avec ceux évoquant l’hermétisme et l’alchimie, comme le creuset ou athanor et la salamandre.

 

 

 

Tous ces meubles, et ceux d’inspiration maçonnique en particulier, ainsi que leur disposition dans les écus indiquent toute la valeur éthique du blason.

 

Non seulement le corpus initiatique sert de vivier à l’héraldique napoléonienne, mais encore la perméabilité des fonctions politiques et rituéliques du Très Illustre Frère Archichancelier lui ont permis de puiser, dans l’imaginaire de plusieurs traditions, les images concordantes qui facilitent l’approche de la Tradition primordiale et la restitution de son image dans les armoiries.

 

J. Declercq. Mars 2002.

 

 

 

ARMORIAL.

 

 

 

 

 

 

 

SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES.

 

 

Lamarque Ph. : L’héraldique napoléonienne. Ed. du Guy.

Chevalier J. et Gheerbrant A. : Dictionnaire des symboles. Ed. Seghers.

Masson H. : Dictionnaire initiatique. Ed. Pierre Belfond.

Vulson de la Colombière : La symbolique du blason. Ed. La Place Royale.

Viel R. : Les origines symboliques du blason. Ed. Berg Internnational.

Jacq C. et Delapierre P. : De sable et d’or. Symbolique héraldique. L’honneur du nom. Ed. des Trois Mondes.

Cadet de Gassicourt et du Roure de Paulin : L’hermétisme dans l’art héraldique. Ed. Berg Internnational.

 

 

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