QUELQUES
ASPECTS
DE
LA
FRANC-MACONNERIE
SOUS
LE
PREMIER
EMPIRE.
A
la
veille
de
la
révolution
de
1789,
le
Grand
Orient
de
France
compte
à
son
tableau
703
ateliers
en
activité
dans
le
Royaume
de
France
et
à
l'étranger
tandis
que
200
autres
travaillent
sous
l'obédience
de
la
Grande
Loge
de
France
dite
de
Clermont.
Dans
les
Pays-Bas
autrichiens,
à
la
même
époque
et
à
la
suite
des
édits
restrictifs
de
Joseph
II,
les
listes
dressées
en
1786
et
envoyées
au
gouvernement
nous
indiquent
l'existence
de
13
ateliers
ayant
travaillé
sous
l'obédience
de
la
Grande
Loge
Provinciale
du
Marquis
de
Gages.
La
politique
de
Joseph
II,
ayant
sacrifié
sans
profit
aucun
comme
sans
nécessité
la
Franc-Maçonnerie
belge,
allait
amener
la
mise
en
sommeil
puis
la
dissolution
de
toutes
les
loges
belges
à
l'exception
de
trois
d'entre
elles;
certaines
continueront
cependant
tant
bien
que
mal
à
travailler
dans
la
clandestinité.
En
France,
dès
1793,
la
plus
grande
partie
de
l'activité
maçonnique
avait
pris
fin
bien
qu'une
circulaire
de
1798
ait
prétendu
qu'elle
s'était
poursuivie
jusqu'alors.
Il
est
clair
qu'une
association
fondée
sur
la
tolérance
pouvait
difficilement
subsister
dans
un
climat
de
passion
politique
où
tout
«
modérantisme
»
était
devenu
criminel.
En
fait,
le
8
août
1793,
le
Grand
Orient
avait
fait
savoir
que:
«
les
différentes
obligations
imposées
à
tous
les
citoyens
depuis
quelque
temps,
la
nécessité
où
beaucoup
d'entre
eux
se
sont
trouvés
de
changer
d'état
et
de
quitter
leurs
foyers
pour
servir
leur
patrie
aux
frontières
ont
causé
une
dispersion
parmi
les
officiers
du
Grand
Orient
».
En
conséquence,
il
cesse
de
se
réunir.
Pourtant,
dès
1800,
74
loges
sont
en
activité;
en
1802,
il
y
en
aura
114;
en
1803,
607
ateliers
sont
encore
en
sommeil
au
Grand
Orient,
mais
l'année
suivante,
300
loges
et
chapitres
travaillent;
en
1806,
on
en
comptera
664,
1161
en
1810,
pour
atteindre
le
chiffre
record
de
1212
en
1814.
Dans
ces
chiffres
sont
évidemment
compris
les
69
ateliers
régimentaires
dont
nous
dirons
tantôt
quelques
mots
et
toutes
les
loges
créées
dans
les
pays
réunis
à
l'Empire
par
les
conquêtes
révolutionnaires
et
impériales.
De
même,
dans
les
ci-devant
Pays-Bas
autrichiens
maintenant
annexés
et
devenus
départements
français,
des
ateliers
sortent
de
leur
sommeil.
Tout
au
long
de
la
période
française,
6
anciens
ateliers
de
l'ex-Grande
Loge
Provinciale
des
Pays-Bas
autrichiens
reprendront
leurs
travaux,
3
seront
constitués
en
reprenant
le
titre
distinctif
de
loges
en
sommeil,
25
recevront
des
patentes
et
constitutions,
ce
qui
donne
un
total
de
34,
auquel
on
peut
ajouter
une
loge
constituée
et
jamais
installée,
une
autre
en
instance
et
quelques
ateliers
militaires.
Au
vu
de
ces
chiffres
qui
témoignent
d'une
formidable
expansion,
on
peut
légitimement
s'étonner.
Pour
ce
qui
est
de
la
protection
du
Premier
Consul
d'abord,
de
l'Empereur
ensuite,
nous
verrons
plus
tard
ce
que
l'on
peut
en
penser.
Bien
sûr,
dès
1795,
«
lorsque
le
terrorisme
fut
abattu
et
la
vertu
mise
à
l'ordre
du
jour
»,
une
tentative
de
reprise
s'était
fait
jour
sous
l'impulsion
du
F.
Roettiers
de
Montaleau
qui
avait
sauvé
les
archives
du
Grand
Orient
pendant
la
tourmente
révolutionnaire.
Et
puis,
il
y
avait
eu
le
rétablissement
de
la
paix,
tant
intérieure
qu'extérieure:
le
18
avril
1797
à
Leoben,
les
préliminaires
du
traité
de
Campoformio,
signé
en
octobre;
le
9
février
1801,
la
paix
de
Lunéville,
le
Concordat
le
15
juillet
180
1;
la
paix
d'Amiens
le
25
mars
1802.
Il
y
eut
aussi
la
création
et
l'organisation
de
grandes
institutions:
en
janvier
1800,
la
Banque
de
France;
le
Code
civil...
D'autre
part,
la
police
du
Directoire
ne
paraissait
guère
s'occuper
de
ces
réunions
de
bourgeois
inoffensifs,
bien
que
certains
fonctionnaires
publics
s'en
soient
inquiétés.
Ainsi,
après
quelques
hésitations
et
enquêtes
discrètes,
le
Ministre
de
la
Police
avait
fait
savoir,
en
septembre
1798,
que
«
les
sociétés
de
francs-maçons
qui,
d'ailleurs,
n'ont
été
prohibées
par
aucune
loi,
peuvent
se
réunir
librement,
pourvu
néanmoins
qu'elles
ne
dégénèrent
pas
en
associations
contraires
à
l'ordre
publie.
»
Sous
le
Consulat,
des
conspirateurs,
tant
royalistes
que
jacobins,
ont
tenté
bien
sûr
d'utiliser
l'institution
maçonnique
comme
couverture.
C'est
à
cette
époque
que
Fouché
reçut
le
rapport
suivant:
«
Si
les
loges
de
francs-maçons
ne
se
multiplient
plus,
le
nombre
des
frères
augmente
considérablement,-
le
même
local
sert
à
quatre
ou
cinq
loges.
Avant
et
après
les
travaux,
on
s'occupe
souvent
de
politique
dans
les
loges
surtout
fréquentées
par
les
exclusifs.
Les
maçons
tranquilles
et
qui
ne
s'occupent
véritablement
que
de
la
maçonnerie
cherchent
dans
ce
moment-ci
à
réorganiser
le
Grand
Orient
et
à
faire
tomber
petit
à
petit
les
loges
suspectes
et
surtout
celles
qui
observent
le
rite
écossais
parce
que
leur
correspondance
s'étend
à
l'étranger
et
que
d'ailleurs,
elles
ne
sont
pas
toujours
tranquilles.
»
Finalement,
la
maçonnerie,
ayant
obtenu
le
patronage
du
gouvernement,
paiera
l'autorisation
d'exister
en
laissant
ses
loges
soumises
à
une
surveillance
toujours
attentive.
Nous
ne
nous
étendrons
pas
sur
ces
interventions
du
pouvoir
dans
les
affaires
maçonniques.
Signalons
simplement
que,
grâce
à
ces
interventions,
les
diverses
obédiences
maçonniques
allaient
être
forcées,
dès
décembre
1805,
à
signer
un
acte
d'union
et
un
concordat
dont
les
principaux
artisans
avaient
été
les
maréchaux
Kellermann
et
Masséna.
Le
tableau
des
Grands
Officiers
d'honneur
de
l'ordre
maçonnique
en
France
témoigne
assez
de
cette
influence
du
pouvoir.
Ainsi,
en
1805,
le
Grand
Maître
est
le
prince
Joseph
Bonaparte;
le
prince
Louis
est
Grand
Maître
adjoint;
le
maréchal
Masséna
est
Grand
Administrateur,
le
sénateur
de
Choiseul-Praslin,
Grand
Conservateur;
le
1er
Grand
Surveillant
est
le
maréchal
Murat;
le
2d
Grand
Surveillant,
le
Grand
Chancelier
de
la
Légion
d'Honneur,
le
comte
de
Lacepède;
le
Grand
Orateur
est
de
la
Lande,
membre
de
l'Institut;
le
sénateur
de
Jaucourt
est
Grand
Secrétaire;
le
contre-amiral
Magon
de
Médine,
Grand
Trésorier,
l'ambassadeur
de
Beurnonville
et
le
général
Mac
Donald
sont
Grands
Experts,
le
maréchal
Kellermann
est
Grand
Garde
des
archives;
le
général
Sébastiani,
Grand
Garde
des
Sceaux;
le
sénateur
Deluyne,
Grand
Architecte;
le
maréchal
Augereau
Grand
Hospitalier
et
le
maréchal
Lefèvre,
Grand
Aumônier.
Il
importe
ici,
avant
d'aller
plus
loin,
de
souligner,
avec
François
Collaveri,
que,
depuis
15
ans,
depuis
le
début
de
la
Révolution,
la
population
maçonnique
a
bien
changé.
On
le
constate
d'autant
mieux
si
l'on
considère
les
noms
des
68
dirigeants
administratifs
réunis
autour
de
Roettier
de
Montaleau.
Sur
ce
nombre,
cinq
seulement
ont
été
initiés
avant
1789,
deux
l'ont
été
entre
1790
et
1792
et
tous
les
autres
ont
été
reçus
après
le
réveil
de
1795.
Quoi
qu'il
en
soit,
il
est
évident
que
la
franc-maçonnerie
a
connu
une
période
d’expansion
comme
elle
n'en
connaîtra
plus
dans
la
suite
de
son
histoire.
Et
il
peut
être
tentant
d'attribuer
cette
expansion
à
la
protection
de
Napoléon
et
de
là,
il
n'y
a
qu'un
pas
pour
affirmer
la
qualité
maçonnique
de
l'Empereur.
C'est
ce
que,
périodiquement,
font
divers
historiens,
et
c'est
ce
qui,
tout
aussi
périodiquement,
est
démenti
par
d'autres.
Essayons
donc
brièvement
de
faire
le
point
sur
ce
sujet.
Il
est
certain
que
le
proche
entourage
de
l'Empereur
est
très
lié
à
la
franc-maçonnerie.
On
sait
que
son
père,
Charles,
était
franc-maçon,
de
même
que
son
frère
Lucien,
prince
de
Canino.
Joseph
Bonaparte,
qui
sera
roi
de
Naples
avant
de
monter
sur
le
trône
d'Espagne,
a
été
initié
le
8
octobre
1793
à
la
loge
La
Parfaite
Sincérité
à
Marseille;
il
sera
Grand
Maître
du
Grand
Orient
de
France.
Jérôme
Bonaparte,
initié
le
20
février
1801
à
la
loge
Saint-Jean
de
la
Paix
à
Toulon,
sera
Protecteur
de
la
maçonnerie
dans
son
éphémère
royaume
de
Westphalie.
Joachim
Murat,
beau-frère
de
Napoléon,
initié
à
Livourne
en
1802,
maréchal
de
France
et
roi
de
Naples
après
Joseph,
sera
1er
Grand
Surveillant
du
Grand
Orient
de
France
et
Grand
Maître
de
la
franc-maçonnerie
napolitaine.
En
1805,
l'Impératrice
Joséphine
préside
une
tenue
d'adoption
à
la
loge
des
Francs
Chevaliers
à
Strasbourg,
tenue
au
cours
de
laquelle
sera
initiée
une
de
ses
dames
d'honneur,
madame
de
Canissy.
Le
prince
Eugène
de
Beauharnais,
vice-roi
d'Italie,
sera
grand
maître
à
Milan
où
il
recevra
le
33ème
degré
du
rite
écossais
et
deviendra
Souverain
Grand
Commandeur
du
Suprême
Conseil
d'Italie.
Nous
avons
vu,
d'autre
part,
à
l'énoncé
des
membres
d'honneur
du
Grand
Orient
de
France,
que
la
plupart
des
hauts
dignitaires
du
régime,
tant
civils
que
militaires,
occupent
des
fonctions
au
sein
de
l'Ordre.
Quant
à
Napoléon
lui-même,
il
faut
admettre
que
certains
faits
troublants
peuvent
faire
croire
à
son
appartenance
à
l'Ordre.
Ainsi
en
est-il,
par
exemple,
des
hymnes
et
discours
maçonniques
contemporains
de
l'Empire
et
présentant
Napoléon
comme
franc-maçon;
ainsi
en
est-il
aussi
de
la
protection
accordée
à
l'Ordre
par
l'Empereur,
de
rumeurs
de
visites
à
diverses
loges,
de
rumeurs
d'initiation
et
d'autres
petits
faits
de
plus
ou
moins
d'importance.
Dès
avant
l'Empire,
des
rumeurs
circulent
au
sujet
de
l'initiation
de
Napoléon.
Il
aurait
reçu
la
Lumière
à
Marseille,
peut-être
à
Auxonne
disent
certains.
D'autres
pensent
que
cela
s'est
passé
à
Malte
ou
en
Egypte.
Christian
Plume,
dans
son
ouvrage
«
Napoléon
Franc-Maçon
»
admet
l'hypothèse
qu'il
fut
initié
à
Marseille
par
la
mère-loge
écossaise
en
1793.
Eugène
Coulet
prétend
que
cette
initiation
a
eu
lieu
à
Valence
en
1784
ou
1785,
alors
que
Bonaparte
était
lieutenant
d'artillerie
en
garnison
dans
cette
ville.
Or,
il
a
bien
existé
un
atelier,
«
La
Sagesse
»,
en
cet
orient,
et
l'on
en
a
conservé
les
tableaux,
dressés
en
1786
pour
les
années
précédentes;
ils
ne
font
mention
d'aucun
frère
Bonaparte.
Et
qui
plus
est,
en
1803,
l'orateur
de
cet
atelier,
dans
un
discours,
parle
de
l'immortel
Napoléon
sans
faire
allusion
à
son
éventuelle
qualité
maçonnique.
Dans
un
discours
de
1836,
l'orateur
de
«
La
Vraie
Fraternité
»
à
Strasbourg
situe
cette
initiation
en
Italie.
Clavel,
dans
son
«
Histoire
pittoresque
de
la
Franc-Maçonnerie
»,
la
situe
à
Malte,
lors
du
départ
pour
l'Egypte.
Signalons,
en
passant,
que
la
franc-maçonnerie,
interdite
dans
cette
île
depuis
1740,
y
avait
été
rétablie,
selon
Gould
(le
grand
historien
anglais
de
l'ordre),
en
1787
sous
l'obédience
de
la
Grande
Loge
d'Angleterre.
En
1934,
Constant
Chevillon,
Grand
Maître
du
rite
de
Memphis-Misraim,
écrivait:
«
Le
général
Bonaparte
et
le
général
Kléber
fondèrent
au
Caire
en
1798
une
loge
composée
d'officiers
et
de
savants
français
unis
à
des
notables
égyptiens
initiés
aux
antiques
mystères
des
pyramides.
L'initiation
égyptienne
fut
donc
liée
à
l'initiation
française
par
les
Philadelphes,
rite
créé
à
Narbonne
par
le
marquis
de
Chefdebien
en
1779.
La
loge
créée
au
Caire
prit
le
nom
d’Isis.
Tel
est
le
point
de
départ
de
notre
rite.
Il
fut
ramené
en
France
par
Bonaparte,
mais
ne
fut
installé
définitivement
qu'en
1814
par
Samuel
Honis
sous
le
nom
des
Disciples
de
Memphis.
»
En
fait,
aucune
de
ces
hypothèses
n'est
fondée
sur
des
documents
authentiques,
certificats,
procès-verbaux
ou
tableaux
de
loges,
et
on
ne
peut
donc
les
retenir
comme
historiquement
probants.
Il
n'y
a
aucune
trace,
ni
dans
les
archives
du
Grand
Orient
de
France,
ni
dans
celles
de
la
Grande
Loge
de
France,
du
moindre
document
de
caractère
décisif
permettant
de
penser
que
Napoléon
ait
été
initié.
En
1979,
le
prince
Napoléon,
descendant
direct
du
roi
Jérôme
et
chef
de
la
maison
impériale
m'écrivait
pour
me
confirmer
qu'il
n'existe,
dans
les
archives
en
possession
de
sa
famille,
aucun
document
maçonnique
relatif
à
Napoléon,
alors
qu'il
en
possède
certains
qui
concernent
la
qualité
maçonnique
d'autres
membres
de
la
famille
impériale.
Cette
absence
de
documents,
pourtant,
ne
peut
être
retenue
comme
preuve
absolue
de
la
non-initiation
de
Bonaparte.
En
effet,
nul
n'a
jamais
nié
l'appartenance
maçonnique
des
rois
Louis
XVIII
et
Charles
X
bien
qu'on
ne
possède
pas
non
plus
pour
eux
ce
type
de
document.
Bien
des
historiens
du
XIXème
siècle
ont
déclaré
que
Joseph
Bonaparte
n'était
pas
maçon.
Albert
Lantoine,
célèbre
historien
français
de
la
franc-maçonnerie,
le
proclamait
encore
en
1927.
Cependant,
en
1950,
on
découvrit
le
procès-verbal
original
de
cette
réception
qui
eut
lieu
le
8
octobre
1793
à
Marseille.
Il
ne
faut
pas
oublier
que
la
conservation
des
archives
des
loges
posait
souvent
des
problèmes
et
que
de
nombreuses
pièces
étaient
ainsi
dispersées
lors
de
déménagements,
de
décès,
de
pillages
à
l'occasion
de
troubles
ou
de
guerres
(
souvenez-vous
du
sort
réservé
à
la
maçonnerie
par
le
régime
nazi
au
cours
de
la
dernière
guerre)
ou
même
étaient
détruites
volontairement
par
ceux
qui
en
avaient
la
garde
et
qui
redoutaient
les
suites
d'indiscrétions
malveillantes.
Un
historien
lorrain
du
nom
de
Noël,
franc-maçon
et
contemporain
de
l'Empire,
membre
d'une
loge
de
Nancy,
a
raconté,
en
évoquant
le
passage
dans
cette
ville
du
général
Bonaparte
le
3
décembre
1797,
qu'il
se
souvenait
«
avoir
eu
en
mains
la
planche
constatant
que
le
général
vint
visiter
la
loge;
et
quoiqu'il
ne
fût
que
maître,
il
fut
reçu
avec
tous
les
honneurs
possibles.
Introduit
sous
la
voûte
d'acier,
le
Vénérable
Maître
lui
offrit
le
maillet.
»
Le
fait
est
surprenant,
mais
il
faut
noter
qu'il
n'est
pas
relaté
par
un
témoin
direct.
Noël
n'a
été
mis
au
courant
du
passage
de
Bonaparte
dans
la
loge
de
Nancy
que
par
une
planche.
Ce
passage
aurait
eu
lieu
en
1797;
Noël
a
été
initié
treize
ans
plus
tard,
en
1810.
Il
devait
donc
encore
exister
en
ce
moment
des
frères
ayant
vu
de
leurs
yeux
le
futur
empereur
et
le
récit
qu'ils
auraient
ainsi
pu
faire
de
cette
soirée
aurait
été
pus
détaillé.
Il
semble
en
tout
cas
peu
probable
que
Noël,
historien,
ait
pu
négliger
cette
source
d'information.
D'autre
part,
aucun
des
éventuels
témoins
de
cette
visite
n'en
a
laissé
de
relation
écrite
et
la
planche
dont
question
n'a
jamais
été
retrouvée.
Mieux
encore,
on
peut
toujours
consulter
actuellement
le
livre
des
procès-verbaux
de
cette
loge.
Il
nous
apprend
qu'elle
avait
cessé
toute
activité
entre
le
6
septembre
1796
et
le
9
décembre
1797,
soit
six
jours
après
la
visite
de
Bonaparte.
Il
est
donc
difficile
de
se
servir
de
cet
élément
pour
prouver
que
Napoléon
a
été
franc-maçon.
Clavel,
encore
lui,
reproduit
une
gravure
représentant
la
visite
de
Napoléon
à
une
loge
du
faubourg
Saint-Marcel.
Cette
visite
est
racontée
en
ces
termes
dans
le
journal
«
L'Abeille
Maçonnique
»,
publié
entre
1839
et
1842:
«
Un
soir,
accompagné
de
Duroc
et
de
Lauriston,
il
se
rend
à
une
Loge
qui
tenait
faubourg
Saint-Marceau...
composée
d'habitants
du
quartier.
Duroc
entre
le
premier
comme
visiteur,
et
est
accueilli
à
la
manière
ordinaire.
Avant
de
prendre
place,
il
s'avance
vers
le
Vénérable
et
lui
dit
tout
bas
:
-
Deux
autres
frères
vont
se
présenter,
mais
ils
désirent
n'être
pas
connus
et
même
qu'on
ne
paraisse
pas
s'apercevoir
de
leur
entrée
dans
le
Temple.
"
Le
Vénérable
appelle
le
maître
des
cérémonies
et
il
lui
donne
des
ordres
en
conséquence,
ce
qui
s'exécuta.
Napoléon,
ayant
pris
place
au
bas
des
colonnes,
resta
dans
cet
atelier
environ
une
demi-heure;
il
vit
de
braves
gens
qui
s'occupaient
franchement
et
loyalement
de
travaux
fort
innocents,
et
ne
songeaient
guère
à
conspirer;
il
reconnut
que
si
leur
langage
n'était
pas
élégant,
il
n'avait
rien
qui
pût
alarmer
l'autorité
et
se
retira
fort
content.
Comme
ces
honnêtes
citoyens
étaient
loin
de
s'attendre
à
une
pareille
visite,
personne
ne
le
reconnut,
excepté
le
Vénérable,
qui,
comme
de
raison,
se
donna
bien
garde
d'en
rien
manifester.
A
la
fin
de
la
séance,
il
annonça
aux
membres
de
la
Loge
l'honneur
qu'ils
avaient
reçu,
en
leur
faisant
toutefois
sentir
adroitement
la
nécessité
de
n'en
pas
parler.
-
Que
ne
s'est-il
fait
connaître,
s'écrièrent-ils?
Il
aurait
vu
que
les
habitants
du
faubourg
sont
des
citoyens
aussi
soumis
au
gouvernement,
aussi
dévoués
à
leur
patrie
qu'ils
sont
bons
Maçons;
Vénérable,
tirons
une
triple
batterie
pour
témoigner
la
joie
que
nous
éprouvons
d'avoir
possédé
un
instant
dans
notre
sein
le
chef
de
l'Etat
".
Ce
qui
eut
lieu
avec
explosion.
»
Or,
il
semble
qu'il
n'y
a
pas
eu
de
loge
dans
ce
faubourg
à
cette
époque
et,
d'autre
part,
la
police
impériale
avait
assez
de
mouchards
dans
les
loges
pour
que
Napoléon
n'ait
pas
eu
à
se
déplacer
lui-même
pour
constater
ce
qui
s'y
faisait.
En
1814,
peu
avant
la
bataille
de
Montereau,
l'Empereur
se
serait
arrêté
un
soir
à
la
loge
de
Sens.
C'est
là
qu'il
aurait
signé
ce
beau
tablier.
Je
vous
laisse
le
soin
de
comparer
cette
signature
avec
celle-ci,
qui
figure
sur
des
lettres-patentes
de
comte
de
l'Empire
délivrées
au
Conseiller
d'Etat
Pierre
François
Réal,
et
qui
est
celle
habituellement
employée
par
Napoléon.
L'itinéraire
de
Napoléon
ne
fait
pas
mention
d'un
séjour
à
Sens
à
cette
époque
et
il
est
peu
probable
qu'au
cours
de
cette
tragique
campagne
de
France,
il
ait
pu
perdre
un
temps
précieux
à
assister
à
une
tenue.
A
propos
de
tablier,
je
vous
signale
aussi
que
le
Suprême
Conseil
du
Rite
Ecossais
Ancien
et
Accepté
d'Angleterre
possède
dans
ses
collections
un
tablier
qui
aurait
été
pris
dans
la
voiture
de
Napoléon
à
Waterloo.
A
ma
connaissance,
rien
ne
prouve
cette
origine
et
il
est
plus
probable
qu'il
ait
appartenu
à
un
officier
de
la
suite
impériale
tué
ou
ayant
abandonné
ses
bagages
dans
la
retraite.
Remarquons
qu'au
cours
de
ses
nombreux
déplacements,
jamais
l'Empereur
n'a
été
sollicité
de
rendre
visite
aux
loges
des
villes
où
il
se
trouvait
et
jamais
celles-ci
n'ont
demandé
ni
obtenu
de
lui
une
audience
particulière.
Voyons
maintenant
ce
qu'il
convient
de
penser
des
divers
discours
maçonniques
contemporains
de
cette
période.
Ils
sont
très
nombreux.
Les
uns
sont
muets
quant
à
la
qualité
maçonnique
de
l'Empereur;
d'autres
au
contraire
n'hésitent
pas
à
le
désigner
comme
frère.
En
voici
deux
à
titre
d'exemple:
-
Discours
de
l'orateur
de
«
L'
Union
de
la
Sincérité
»
à
Troyes
le
27
décembre
1805,
juste
après
la
victoire
d'Austerlitz:
«
Ce
héros
est
franc-maçon;
nous
le
disons
avec
orgueil;
génie
vaste
dans
ses
conceptions,
ferme
et
constant
dans
ses
grandes
entreprises,
fécond
dans
ses
moyens,
sage
dans
ses
conseils,
son
cœur
porte
encore
cet
amour
de
l'humanité,
ce
sentiment
de
générosité
qui
caractérise
les
francs-maçons.
»
-
Discours
du
maréchal
Kellermann
en
1805
à
Strasbourg:
«
Qu'une
amitié
sincère
soit
le
sceau
du
serment
que
nous
contractons,
en
présence
du
Grand
Architecte
de
l'Univers,
d'une
soumission
sans
bornes
à
notre
auguste
empereur
et
frère
Napoléon
le
Grand
»
Au
cours
des
travaux
consacrés
le
13ème
jour
du
4ème
mois
de
l'an
5811
par
le
Grand
Orient
d'Italie
à
la
célébration
de
la
naissance
du
Roi
de
Rome,
un
toast
est
porté
lors
du
banquet
«
au
frère
le
plus
puissant
du
monde
maçonnique,
Napoléon
le
Grand,
à
l'auguste
impératrice,
sa
digne
épouse,
et
au
prince
lowton,
son
excellent
fils
».
Tout
au
long
de
cette
cérémonie,
qui
s'est
déroulée
en
présence
des
plus
hautes
autorités,
il
est
question
du
frère
Napoléon.
Que
son
nom
soit
louangé
dans
des
épîtres
maçonniques
ne
prouve
rien,
direz-vous.
Des
écrits
de
la
même
nature
existent,
provenant
de
tous
les
corps
constitués
de
l'Empire.
Ces
textes
semblent
appartenir
à
une
sorte
de
littérature
officielle
qui
s'attachait
alors
à
chanter
la
gloire
du
souverain.
Cependant,
il
ne
faut
pas
perdre
de
vue
qu'un
grand
nombre
de
ces
discours
ont
été
prononcés
par
ou
en
présence
de
nombreux
hauts
dignitaires
du
régime
et
qu'ils
ont
été
publiés
avec
leur
assentiment.
Déjà
au
retour
d'Egypte,
les
membres
de
la
loge
«
L'Encyclopédique
»
lèvent
leur
verre
«
à
l'heureux
retour
du
frère
Bonaparte
sur
le
territoire
de
la
République
»,
tandis
qu'à
la
même
époque,
la
revue
maçonnique
d'obédience
écossaise
écrit
que
«
l'Ordre
maçonnique
est
fier
maintenant
de
compter
parmi
ses
membres
les
illustres
frères
Bonaparte
et
Moreau
».
D'autres
témoignages
du
même
type
existent
en
grand
nombre.
En
1840,
un
atelier
parisien,
«
Saint-Jean
d'Ecosse
»,
expédiait
l'avis
suivant:
«
Tenue
funèbre
du
20
décembre
1840
en
la
Respectable
Loge
de
Saint-Jean
d'Écosse
à
l'orient
de
Paris.
Une
fête
funèbre
aura
lieu
dimanche
prochain
20
décembre
dans
notre
atelier
à
l'occasion
de
l'arrivée
en
France
des
dépouilles
mortelles
de
l'Empereur
Napoléon,
membre
de
notre
Ordre».
D'autres
pseudo-preuves
de
l'appartenance
de
Napoléon
à
l'Ordre
Maçonnique
ont
encore
été
citées
par
divers
écrivains
tels
Serbanesco,
Ambelain
et
quelques
autres.
Je
ne
les
examinerai
pas
ici,
cela
nous
entraînerait
trop
loin.
Mais
avant
d'aborder
d'autres
aspects
de
la
Franc-Maçonnerie
sous
l'Empire,
il
peut
être
intéressant
d'évoquer
encore
quelques
éléments
utilisés
par
les
tenants
de
la
non-initiation
pour
justifier
leur
position.
Le
valet
de
chambre
de
Napoléon,
Constant,
a
écrit
dans
ses
souvenirs:
«
L'Empereur
parlait
quelquefois
de
la
franc-maçonnerie,
mais
comme
de
purs
enfantillages
bons
pour
amuser
les
badauds
et
je
puis
assurer
qu'il
riait
de
bon
cœur
quand
on
lui
racontait
que
l'archichancelier
Cambacérès,
en
sa
qualité
de
chef
du
Grand
Orient,
ne
présidait
pas
un
banquet
maçonnique
avec
moins
de
gravité
qu'il
n'en
apportait
à
la
présidence
du
Sénat
et
du
Conseil
d'État
»
Napoléon
aurait
aussi
déclaré:
«
Ce
sont
des
enfants
qui
s'amusent;
laissez-les
faire
et
surveillez-les
».
Les
faits
pourtant
démentent
assez
cette
opinion
lorsqu'on
constate
la
place
de
choix
qu'il
a
réservée
aux
francs-maçons
dans
la
vie
et
les
institutions
du
pays.
Devant
le
Conseil
d'État,
le
comte
Muraire,
conseiller
d'état
et
haut
dignitaire
du
rite
écossais,
demandait
un
jour
à
faire
exception,
en
faveur
des
francs-maçons,
à
la
disposition
du
Code
Pénal
prohibant
les
assemblées
de
plus
de
20
personnes.
Ce
à
quoi
Napoléon
aurait
répondu:
«Protégée,
la
Franc-Maçonnerie
n'est
pas
à
craindre;
autorisée,
elle
aurait
trop
de
force,
elle
pourrait
être
dangereuse.
Telle
qu'elle
est,
elle
dépend
de
moi;
je
ne
veux
pas
dépendre
d'elle».
François
Collaveri,
dans
son
ouvrage
«
Napoléon
Empereur
Franc-Maçon
»,
démontre
que
quand
cet
article
du
code
vint
en
discussion,
Napoléon
n'était
pas
présent.
Le
26
septembre
1802,
le
Premier
Consul
écrit
au
Grand
Juge
Regnier,
qui
sera
plus
tard
grand
officier
d'honneur
du
Grand
Orient:
«
Il
existe
une
loge
de
francs-maçons
à
Turin
qui
est
extrêmement
dangereuse.
Mon
intention
est
que
vous
écriviez
au
général
Jourdan
pour
qu'il
défende
ces
loges.
Vous
écrirez
une
lettre
particulière
au
citoyen
Delaville,
préfet
du
Pô;
c'est
un
homme
très
riche
mais
d'un
caractère
faible.
Vous
lui
ferez
connaître
qu'il
n'est
pas
convenable
qu'un
magistrat
comme
lui,
investi
de
la
confiance
du
gouvernement,
assiste
à
des
loges
tout
au
moins
inutiles,
si
elles
ne
sont
pas
dangereuses,
et
qui
sont
soupçonnées
de
se
nourrir
de
principes
contraires
au
gouvernement
».
Mais
cette
réaction
semble
avoir
été
due
à
une
dénonciation
malveillante
puisque
cette
décision
du
Premier
Consul
sera
rapportée
par
lui-même.
Toujours
à
Regniers,
il
écrit
le
15
janvier
1803:
«
Je
désire
que
vous
fassiez
surveiller
la
société
des
francs-maçons
d’Arras
qu'on
dit
être
composée
des
restes
du
tribunal
révolutionnaire
de
Joseph
Lebon.
»
Remarquons
que
ce
qui
inquiète
ici
Bonaparte,
c'est
la
présence,
dans
les
loges,
d'anciens
révolutionnaires
opposés
à
son
régime.
Le
2
novembre
1816,
à
Sainte-Hélène,
à
son
médecin,
Barry
O'Meara,
qui
lui
avait
demandé
son
opinion
sur
la
franc-maçonnerie
et
les
francs-maçons,
il
répondit:
«
C'est
un
tas
d'imbéciles
qui
s'assemblent
pour
faire
bonne
chère
et
exécutent
quelques
folies
ridicules.
Néanmoins,
ils
ont
fait
quelques
bonnes
actions.
Ils
ont
aidé
dans
la
révolution
et,
dans
ces
derniers
temps
encore,
à
diminuer
la
puissance
du
Pape
et
l'influence
du
clergé.
Je
les
ai
un
peu
encouragés
parce
qu'ils
combattaient
le
Pape.
»
Dans
le
«
Mémorial
de
Sainte-Hélène
»,
on
peut
lire:
«
Nul
doute
que
mon
esprit
d'incrédulité
ne
fut,
en
ma
qualité
d'empereur,
un
bienfait
pour
mes
peuples;
et
autrement,
comment
aurai-je
pu
favoriser
également
des
sectes
aussi
contraires
si
j'avais
été
dominé
par
une
seule?
».
De
tout
ceci,
il
résulte,
à
mes
yeux,
que
l'on
ne
peut
affirmer
avec
certitude
la
réalité
de
l'initiation
de
Napoléon,
mais
qu'il
existe
en
sa
faveur
un
large
faisceau
de
présomptions.
N'oublions
pas
que,
parce
qu'elle
est
une
science
qui
tend
vers
l'exactitude,
l'histoire
est
exigeante.
Elle
ne
peut
s'accommoder
d'affirmations
approximatives,
de
déductions
hâtives,
de
suppositions
alléchantes
ou
de
relations
fantaisistes.
Et
c'est
à
Napoléon
lui-même
que
je
laisserai
la
parole
pour
clore
ce
chapitre:
«
Je
voulais,
disait-il
en
1816,
établir
une
liberté
universelle
de
conscience.
Mon
système
était
qu'il
n'y
eut
pas
de
religion
prédominante
mais
de
laisser
une
parfaite
liberté
de
conscience
et
de
pensée,
de
rendre
tous
les
hommes
égaux,
protestants,
catholiques,
mahométans,
déistes
ou
autres,-
je
rendis
tout
indépendant
de
la
religion.
»
En
fait,
en
portant
intérêt
aux
divers
groupes
philosophiques
et
religieux
de
son
époque,
Napoléon
ne
pensait-il
pas
mieux
se
les
asservir
pour
assurer
la
solidité
de
son
pouvoir?
Son
dessein
était
plus
politique
qu'idéologique,
et
ce
fut
un
échec.
Un
autre
aspect
de
l'activité
maçonnique
au
début
du
XIXème
siècle
se
rencontre
dans
le
phénomène
des
loges
militaires.
En
fait,
ce
phénomène
n'a
pas
son
origine
directe
dans
les
armées
napoléoniennes.
Sous
l'ancien
régime,
des
loges
fixes
ou
ambulantes
étaient
affectées
à
certains
régiments
et
l'on
pense
qu'à
la
fin
du
XVIIIème
siècle
déjà,
des
ateliers
travaillaient
à
l'orient
de
régiments
irlandais
au
service
de
différents
états
européens.
En
sommeil
sous
la
Terreur,
les
loges
régimentaires
se
réveillent
vers
1800
et
se
multiplient
à
un
rythme
rapide.
En
1804,
43
régiments
sont
pourvus
d'un
atelier
et
ce
nombre
atteindra
73
en
1814.
Je
l'ai
déjà
dit,
une
partie
importante
des
officiers
supérieurs
sont
dignitaires
des
diverses
obédiences.
Sur
26
maréchaux
nommés
de
1804
à
1815,
18
au
moins
sont
maçons,
et
avec
eux,
la
majorité
des
généraux.
En
1805,
à
titre
d'exemple,
24%
des
quelque
9.000
officiers
d'infanterie
de
ligne
sont
maçons,
la
proportion
monte
à
29%
dans
l'infanterie
légère
et
en
fait,
elle
variera,
suivant
les
unités,
entre
7
et
48%.
Point
n'est
nécessaire
de
le
rappeler,
les
armées
de
la
République
et
de
l'Empire
ont
porté
très
haut
le
courage,
l'esprit
de
sacrifice,
la
loyauté
et
la
générosité.
Les
militaires
maçons
s'inspireront
en
plus,
dans
leur
comportement,
des
principes
de
fraternité
et
de
philanthropie.
Les
titres
distinctifs
de
leurs
loges
sont
assez
révélateurs
de
leur
état
d'esprit:
à
côté
des
Emules
de
Mars,
de
l'Union
Militaire,
du
Triple
Nœud
Martial,
on
trouve
l'Egalité
Triomphante,
la
Parfaite
Union,
les
Amis
Philanthropes
ou
les
Guerriers
Généreux.
Ces
loges,
donc,
sillonnent
l'Europe
entière
à
la
suite
de
leurs
régiments
et
participent,
sans
aucun
doute,
à
l'essaimage
de
l'idéal
maçonnique.
Dans
les
places
de
garnison,
elles
transmettent
la
Lumière
à
des
civils.
Ainsi
en
est-il
de
la
loge
L'Espérance
à
l'orient
du
21ème
de
ligne.
Ce
régiment,
dans
lequel
servirent
de
nombreux
Belges,
est
stationné
au
camp
de
Bruges
en
vue
de
participer
à
cette
fameuse
descente
en
Angleterre
qui,
en
fait,
n'aura
jamais
lieu.
Lorsqu'en
1805,
le
régiment
quitte
Bruges
pour
aller
à
Dunkerque
puis
à
Cologne,
la
loge
laisse
les
maçons
civils,
ses
enfants,
dans
la
désolation.
Le
cas
de
la
fondation
des
Amis
Philanthropes
à
Bruxelles
est
bien
connu;
il
a
été
maintes
fois
étudié
et
cité.
Cet
atelier
a
été
fondé
en
1798
par
11
militaires
maçons
de
la
66ème
demi-brigade
que
celle-ci
laissait
derrière
elle
en
quittant
Bruxelles
pour
l'Allemagne.
Permettez-moi
de
vous
raconter,
avec
davantage
de
détails,
la
fondation
de
la
loge
Les
Enfants
de
la
Concorde
Fortifiée
à
Luxembourg.
«
A
peine
la
Terreur
eut-elle
cessé
de
sévir,
renversée
par
le
18
brumaire,
que
la
France
vit
apparaître
de
nouveau
les
Loges
qui
se
constituèrent
ou
plutôt
qui
réapparurent,
car
elles
n'avaient
pas
cessé
d'exister,
surtout
dans
l'armée,
où
elles
étaient
nombreuses.
Presque
chaque
régiment,
qu'en
1801
on
appelait
demi-brigade,
avait
une
Loge
militaire;
la
41ème
demi-brigade
de
l'armée
française
avait
une
loge
qui
était
attachée
à
ses
drapeaux
appelée
La
Concorde.
Presque
tous
ses
officiers
étaient
initiés.
La
France
était
en
guerre
avec
l’Angleterre.
Trop
faible
pour
entrer
en
lice
sur
la
terre
ferme,
impuissante
à
résister
à
l'élan
des
soldats
de
la
République,
dont
l'horreur
que
leur
inspirait
la
Terreur
n'avait
pas
affaibli
le
patriotisme,
l'ennemi
de
la
France
regagnait
sur
les
mers
une
supériorité
contre
laquelle
le
courage
luttait
en
vain.
La
41ème
demi-brigade
fut
embarquée
sur
un
vaisseau
lourd
et
mal-armé,
qui
devait
la
transporter
de
Boulogne
à
je
ne
sais
quel
autre
point
de
la
côte.
Des
vents
contraires,
une
mauvaise
manœuvre,
l'inexpérience
des
marins
chargés
de
diriger
le
navire;
bref,
un
motif
quelconque
jeta
le
•
navire
français
presque
dépourvu
d’artillerie,
loin
de
la
côte,
en
face
d'un
vaisseau
anglais,
fin
voilier,
bien
armé
et
bien
monté,
mais
de
force
inférieure.
Le
navire
ennemi,
avec
une
artillerie
supérieure
n’hésita
pas
à
attaquer
et
chaque
bordée
faisait
de
terribles
ravages
dans
les
rangs
des
Français
impuissants
à
se
défendre.
Le
vaisseau
anglais,
sûr
de
la
victoire
à
distance,
évitait
l'abordage.
La
perte
de
la
41ème
demi-brigade
était
certaine,
sans
combat
possible;
c'était
un
massacre
et
une
noyade.
L'état-major
français
apprécia
la
position,
et
sans
mettre
dans
la
résistance
un
courage
inutile
qui
causait
la
ruine
d'un
régiment
entier,
fit
baisser
pavillon.
L'honneur
anglais
trouva
qu’il
pouvait
être
conforme
au
droit
des
gens
de
continuer
la
boucherie,
et
les
canons
n’interrompirent
pas
leur
horrible
action
(…).
Une
idée
sublime
illumina
les
maçons
de
La
Concorde
:
tous
se
présentèrent
sur
l’avant
du
navire,
se
plaçant
sous
le
feu
et
à
découvert,
faisant
le
signe
de
secours
et
jetant
le
cri
de
détresse.
L’effet
que
l’honneur
militaire,
l’esprit
d’humanité
n’avaient
pu
produire,
la
maçonnerie
réussit
à
l’obtenir.
Parmi
les
officiers
anglais
se
trouvaient
des
maçons.
Le
feu
fut
suspendu,
des
canots
échangèrent
les
conditions
de
la
reddition
;
mais
comme
le
vaisseau
français
ne
pouvait
plus,
à
cause
de
ses
avaries,
faire
le
trajet
jusqu’en
Angleterre
comme
prise
de
guerre,
et
que
la
sécurité
du
vaisseau
anglais
ne
permettait
pas
de
transporter
à
son
bord
quinze
cents
ennemis
bien
armés,
les
troupes
françaises
reçurent
la
permission
de
se
diriger
vers
les
côtes
rapprochées
de
France,
après
avoir
prêté
serment
que
jamais,
officiers
et
soldats
ne
porteraient
plus
les
armes
contre
l’Angleterre.
(…)
Les
hommes
furent
sauvés.
Le
Premier
Consul
n’accepta
pas
la
démission
offerte
par
les
officiers
;
la
41ème
demi-brigade
fut
envoyée
à
la
frontière
et
vint
à
Luxembourg
en
1802
;
elle
ne
s’y
arrêta
que
six
mois
mais
initia
beaucoup
de
Luxembourgeois
et,
avant
de
quitter
les
murs
de
la
ville
pour
se
diriger
vers
le
Rhin,
y
fonda
un
nouvel
atelier,
Les
Enfants
de
la
Concorde.
»
Les
motivations
d'un
tel
engouement
des
militaires
pour
la
franc-maçonnerie
sont
multiples.
Un
certain
nombre
de
survivants
de
l'épopée
impériale
les
évoquent
dans
leurs
souvenirs
et
le
désenchantement
ou
l'enthousiasme
qui
suivit
leur
initiation
ont
été,
tout
comme
aujourd'hui,
la
conséquence
directe
de
leur
motivation.
Ainsi,
le
capitaine
Eléazar
Blaze
échappe,
grâce
à
la
maçonnerie,
à
l'ennui
et
à
la
solitude:
«Lorsque
nous
devions
rester
longtemps
dans
une
garnison,
nous
avions
deux
grands
moyens
pour
passer
gaiement
la
vie.
S'il
existait
une
loge
de
francs-maçons,
nous
nous
y
présentions
en
masse,
ou
bien
nous
en
formions
une
à
nous
tout
seuls.
Chacun
sait
qu'en
travaillant
au
Grand
Oeuvre,
les
frères
aiment
à
rire,
à
banqueter.
Dans
beaucoup
de
régiments,
les
officiers
formaient
une
loge
dont
le
colonel
était
le
vénérable.
A
Stettin,
presque
tous
les
profanes
virent
la
Lumière.
Français
et
Prussiens,
nous
étions
les
meilleurs
amis
du
monde,
sauf
à
nous
tirer
des
coups
de
canon
aussitôt
que
l'occasion
s'en
présenterait,
ce
qui
n'a
pas
manqué
d'arriver
plus
tard.
Tous
les
quinze
jours,
on
se
réunissait,
on
ne
parlait
jamais
politique
et
tout
se
passait
fort
bien.
»
Le
grognard
belge
Scheltens,
sergent
des
grenadiers
de
la
Garde,
licencié
en
1814
du
service
de
France,
reprend
de
l'activité
dans
l'armée
hollando-belge
et,
à
Waterloo,
protège
deux
officiers
français
qui
lui
ont
fait
le
signe
maçonnique.
Il
raconte
le
fait
dans
ses
souvenirs
et
ajoute:
«
Il
était
fort
avantageux,
pour
les
officiers
de
cette
époque,
de
s'affilier
à
une
loge
maçonnique.
Cela
permettait
d'établir
des
relations
agréables
avec
les
notabilités
des
villes
dans
lesquelles
on
était
envoyé
en
garnison,
et
cela
assurait,
en
temps
de
guerre,
des
protections
utiles.
»
Mais
tous
n'ont
pas
la
même
attitude.
Le
comte
François
Dumonceau,
initié
alors
qu'il
est
lieutenant
au
2ème
régiment
de
chevau-légers
lanciers
de
la
Garde,
écrira
dans
ses
«
Mémoires
»:
«
Je
me
fis
admettre
dans
une
loge
maçonnique...
On
m'y
promettait
toutes
sortes
d'avantages
en
vue
des
relations
sociales.
J’y
fus
reçu
avec
toutes
les
épreuves
fantasmagoriques
d'usage
en
pareilles
circonstances.
Jamais
je
n'éprouvai
aucun
avantage
de
ma
participation
à
cette
franc-maçonnerie,
et
le
seul
que
j'y
aperçus
fut
celui
des
blagueurs
désireux
de
débiter
leur
éloquence
et
des
chevaliers
d'industrie
à
l'affût
de
quelque
protection
maçonnique.
»
Le
sergent
Guillemart
est,
lui,
très
flatté
de
son
admission
dans
l'ordre:
«
L'on
sent
combien
je
fus
enchanté
de
m'entendre
appeler
mon
frère
par
notre
colonel
et
tous
nos
officiers.
Je
me
retirai
enthousiasmé
de
la
maçonnerie
dont
je
devins
un
zélé
partisan
et
que
j'ai
cru
longtemps
signifier
quelque
chose.
»
Un
autre
aspect
de
cette
maçonnerie
militaire
que
j'aimerais
évoquer
est
celui
des
loges
établies
dans
les
camps
de
prisonniers
français
en
Grand
Bretagne.
On
estime
à
120.000
le
nombre
de
militaires
et
de
marins
emprisonnés
en
Angleterre
et
dans
les
zones
occupées
par
les
Anglais
entre
1803
et
1814.
Reflet
de
la
composition
de
la
Grand
Armée
napoléonienne,
leur
ensemble
comptait
des
hommes
des
nations
les
plus
diverses:
Français
bien
sûr,
Belges,
Hollandais,
Italiens,
Suisses,
Allemands,
mais
aussi
Polonais,
Danois
etc...
Ils
étaient
retenus
captifs
sur
des
pontons,
anciens
navires
démâtés
rendus
hors
d'usage,
sur
lesquels
les
conditions
de
vie
étaient
particulièrement
pénibles
(ceux
de
Chatham,
Plymouth
et
Portsmouth
sont
restés
tristement
célèbres),
ou
enfermés
dans
des
prisons,
comme
à
Bristoll,
Dartmoor,
Valleyfield
(cette
dernière
conçue
en
1811
pour
accueillir
10.000
hommes),
sans
oublier
les
camps
(Norman
Cross,
près
de
Peterborough)
et
les
îlots
concentrationnaires
de
Cabrera
au
large
de
l'Espagne.
D'autres,
plus
favorisés
par
leur
grade
ou
remarqués
par
les
Britanniques
pour
leur
bonne
conduite
étaient
en
résidence
sur
parole
dans
une
cinquantaine
de
villes
éloignées
des
côtes
et
du
sud
du
pays,
comme
Peterborough,
Lanark,
Chesterfield,
Odiham
(où
l'on
peut
encore
aujourd'hui
voir
des
tombes
françaises).
Dans
l'un
et
l'autre
de
ces
cas,
les
maçons
prisonniers
vont
très
vite
se
retrouver
et
se
réunir
par
cette
alliance
propre
à
la
maçonnerie
universelle.
S'étant
ainsi
reconnus,
ils
vont
tenir
loge
et
seront
aidés
pour
ce
faire
par
les
maçons
anglais.
Ainsi
donc,
des
loges
se
constituent
sous
des
titres
distinctifs
divers
mais
évocateurs:
De
l'Infortune,
Des
Infortunés,
Des
Enfants
de
Mars
et
de
Neptune,
Des
Amis
en
Captivité,
Des
Maçons
Captifs
à
Babylone
etc...
La
plupart
de
ces
ateliers
réclament
des
constitutions
du
Grand
Orient
de
France
ou
de
la
Grande
Loge
d'Angleterre,
ainsi
que
cela
apparaît
clairement
sur
les
chartes
et
diplômes
qui
ont
été
conservés.
Néanmoins,
on
connaît
quelques
cas
de
loges
estimant
ne
pas
avoir
à
solliciter
d'autorisation,
suivant
la
vieille
règle
maçonnique
française
voulant
que
sept
maîtres
maçons
réguliers
puissent
tenir
loge
et
pratiquer
des
initiations
aux
quatre
coins
du
monde.
Une
telle
attitude
provoque,
entre
autres,
une
plainte
de
la
loge
«
indigène
»
de
Peebles
auprès
de
la
Grande
Loge
d'Ecosse
contre
les
maçons
français
de
cette
ville.
Parmi
les
documents
qui
sont
parvenus
jusqu'à
nous,
on
peut
lire
les
noms
d'un
certain
nombre
de
personnages
célèbres:
le
général
Brunet,
le
général
Simon
et
quelques
autres
dont
Alexandre-François-Auguste
de
Grasse-Tilly
qui
organisera
le
Rite
Ecossais
Ancien
et
Accepté
en
ses
33
degrés
et
l'introduira
en
Europe.
Mais
avant
de
quitter
ce
sujet,
j'aimerais
encore
vous
faire
connaître
cet
émouvant
récit
d'une
tenue
sur
un
ponton.
Il
nous
est
raconté
par
le
frère
Lardier
dans
son
«
Histoire
des
pontons
d'Angleterre
».
Je
résume.
Arrivé
sur
le
ponton
«
The
Guildford
»
à
Portsmouth,
le
frère
Lardier
se
fait
reconnaître
comme
maçon.
Immédiatement,
il
est
emmené
vers
les
cales
par
un
escalier
étroit
et
glissant.
L'espace
était
si
limité
et
étroit
qu'il
fallait
se
plier
en
deux
pour
se
déplacer.
La
loge
était
éclairée
par
une
chandelle
fumante
fichée
dans
le
goulot
d'une
bouteille
placée
devant
le
Vénérable
Maître
assis
sur
une
chaise
à
laquelle
manquait
un
pied.
Tous
les
autres
frères
devaient
s'asseoir
à
même
le
sol.
L'ordre
du
jour
appelait
une
initiation
de
profane.
Malgré
l'exiguïté
des
lieux,
la
cérémonie
se
déroula
avec
la
plus
grande
rigueur.
Après
avoir
répondu
à
des
questions
relatives
à
ses
principes
moraux
et
à
son
patriotisme,
le
profane
reçut
la
Lumière.
Voici
quelques
extraits
de
l'allocution
de
clôture
du
Vénérable
Maître:
«
Oh!
France,
heureux
pays,
terre
des
arts,
de
la
félicité
et
de
la
gloire,
un
de
tes
fils
ne
peut
clore
les
travaux
de
cet
atelier
sans
te
rendre
hommage.
Mon
cœur
n'est
pas
captif,
il
est
libre
et
fidèle;
il
s'échappe
de
ses
liens
et
vole
vers
le
pays
qui
l'a
vu
naître.
Puisse
la
gloire
de
tes
triomphes
ne
jamais
pâlir.
Puisse
le
héros
qui
préside
à
ta
destinée
ajouter
ce
seul
et
dernier
joyau
qui
manque
à
ta
couronne
en
détruisant
complètement
cet
odieux
rival
qui
ose
lutter
contre
toi
pour
la
maîtrise
du
monde.
»
La
tenue
se
terminera
après
que
le
tronc
de
solidarité
eut
circulé,
tronc
dont
le
contenu
fut
distribué
aux
prisonniers
les
plus
démunis.
Je
l'ai
signalé
déjà,
les
maçons
prisonniers
reçoivent
l'aide
de
leurs
frères
anglais
qui
leur
offrent
un
maximum
de
facilités
afin
de
permettre
leurs
travaux.
A
Porchester,
par
exemple,
le
commandant
de
la
prison
avait
autorisé
les
tenues
et
mis
à
la
disposition
des
prisonniers
un
local
adapté
à
la
célébration
des
mystères.
D'autres
leur
fournissent
les
objets
nécessaires:
bijoux,
diplômes,
épées
et
colliers
d'officiers.
La
«
Philanthropic
Lodge
n°
658
»possédait
encore
en
1935
des
souvenirs
de
la
loge
des
Enfants
de
Mars
et
de
Neptune
à
l'orient
d'Abergavenny.
Dans
les
villes
de
résidence
sur
parole,
les
maçons
français
se
mêlent
à
la
vie
sociale;
les
uns
deviennent
professeurs,
d'autres
mettent
leurs
connaissances
médicales
ou
chirurgicales
au
service
de
la
population
qui
participe
parfois
à
des
banquets
suivis
de
bals
fort
prisés.
A
part
quelques
cas
particuliers,
il
n'y
aura
donc
pas
de
trop
gros
problèmes
de
relation
et
de
coexistence
entre
les
maçons
français
et
la
population
anglaise
en
général.
C'est
ainsi
que,
pendant
des
années
cruelles,
la
«
religion
»
maçonnique
permit
à
des
frères
dans
l'adversité
de
s'apporter
mutuellement
le
réconfort
de
leur
fraternité.
On
l'a
vu,
il
est
indéniable
que
les
loges
militaires
ont
joué
un
rôle
important
dans
l'essaimage
de
la
maçonnerie
au
début
du
XIXème
siècle.
Cependant,
on
ne
peut
ignorer
que
là
où
s'établissait
le
conquérant
impérial,
il
y
avait
presque
toujours
des
francs-maçons,
soit
isolés,
soit
regroupés
au
sein
de
loges
régulières
affiliées
à
d'anciennes
et
respectables
institutions.
A
côté
des
loges
militaires
itinérantes,
à
côté
des
loges
indigènes,
se
sont
aussi
formées
de
nouvelles
loges
civiles
peuplées
essentiellement
de
fonctionnaires,
de
magistrats
et
d'administrateurs
français.
C'est
le
cas,
par
exemple,
à
Barcelone,
de
la
loge
«
Les
Amis
Fidèles
de
Napoléon
».
Maurice
Arnould
en
a
étudié
une
autre,
établie
en
Hainaut,
à
Boussu,
qui
prit
le
titre
distinctif
des
Vrais
Philanthropes.
Ces
loges
civiles
s'installant
à
demeure,
et
donc
n'ayant
pas
à
suivre
d'unités
militaires
en
perpétuel
déplacement,
pouvaient
ainsi
s'intégrer
à
la
vie
locale
et
jouissaient,
en
ce
domaine,
de
la
supériorité
des
sédentaires
sur
les
itinérants.
Pour
terminer
ce
trop
sommaire
survol
de
quelques
aspects
de
la
maçonnerie
sous
le
Premier
Empire,
je
vous
propose
d'essayer
de
brosser
le
portrait
d'un
maçon
type
de
cette
époque.
Cet
homme,
je
ne
l'ai
pas
choisi
parmi
les
privilégiés
du
régime,
parmi
les
hautes
personnalités
civiles
ou
militaires.
Je
n'irai
pas
non
plus
le
chercher
dans
les
rangs
des
maçons
affiliés
à
des
loges
militaires.
Cet
homme
nous
serait
resté
inconnu
s'il
n'avait
écrit
ses
mémoires
publiés
en
deux
tomes
à
Epernay
en
1828
sous
le
titre
«
Histoire
de
Médard
BONNART,
chevalier
des
ordres
royaux
et
militaires
de
Saint-Louis
et
de
la
Légion
d'Honneur,
capitaine
de
gendarmerie
en
retraite
».
Mais
c'est
un
militaire
direz-vous.
Eh
bien
oui,
c'est
un
militaire,
mais
d'un
genre
un
peu
particulier
puisque
appartenant
au
corps
de
la
gendarmerie
et,
qui
plus
est,
initié
dans
un
atelier
civil
et
membre
actif
de
celui-ci.
Voici
donc
Médart
Bonnart.
Il
est
né
le
13
juillet
1775
à
Damery,
entre
Aï
et
Châtillon.
C'est
donc
un
Champenois,
fils
d'un
honorable
commerçant
en
vins.
Dans
le
cours
de
ses
classes,
il
est
assez
heureux
pour
obtenir
des
prix,
surtout
pour
la
fécondité
de
sa
mémoire,
écrit-il;
et
bien
vite,
ses
parents
le
destinent
au
commerce
des
vins.
Mais
survient
1789.
La
Révolution
lui
inspire,
comme
à
bien
des
Français,
une
ardeur
martiale.
«
L'idée
de
la
liberté,
qui
était,
dit-il,
le
but
de
ce
mouvement,
enflamma
tous
les
cœurs.
Né
avec
un
caractère
vif
et
bouillant,
je
partageai
ce
sentiment
noble
et
sublime.
».
Il
s'engage
comme
chasseur
dans
la
garde
nationale
et
c'est
en
cet
état
qu'il
voit
passer
à
Damery,
le
23
juin
1793,
le
roi
Louis
XVI
qu'on
ramène
de
Varennes
à
Paris.
Bientôt,
il
est
porté
comme
volontaire
sur
les
rôles
du
4ème
bataillon
de
la
Marne.
Quelque
temps
plus
tard,
il
passe
aide
garde-magasin
chez
un
fournisseur
de
l'armée.
Mais
il
n'apprécie
pas
particulièrement
certaines
nouveautés
du
moment,
comme
le
tutoiement
ou
l'appellation
généralisée
de
citoyen.
En
1793,
il
est
réquisitionné
pour
le
8ème
bataillon
de
la
Marne.
Sa
vraie
vie
militaire
commence.
En
1794,
il
parcourt
nos
régions,
passe
à
Fontaine-
l'
Evêque
et
à
Walcourt,
mais,
malade,
il
n'est
pas
à
la
bataille
de
Fleurus.
Il
participe
ensuite
aux
campagnes
de
l'armée
du
Nord,
sillonne
la
Hollande,
va
jusqu'à
Hanovre
puis
revient
sur
le
Rhin.
Au
cours
de
ses
voyages,
il
observe,
note
les
particularités
physiques,
climatiques
ou
architecturales
des
contrées
qu'il
traverse.
C'est
un
esprit
éveillé,
ouvert,
avide
d'apprendre;
on
le
sent
tout
au
long
de
la
lecture
des
900
pages
qu'il
nous
a
laissées.
En
1796,
il
sert
sous
les
ordres
de
Kléber
puis
de
Marceau
et
d'Augereau.
Il
sait
écrire,
passe
caporal
fourrier
et
prend
un
maître
d'allemand.
En
1798-99,
on
le
retrouve
dans
les
Alpes.
Fin
avril
1799,
partant
pour
Turin,
il
rencontre
à
Oulx
le
Pape
Pie
VI
alors
qu'on
transfère
ce
dernier
à
Valence.
En
1800,
il
rentre
en
France
et
est
envoyé
en
Vendée.
C'est
alors
qu'il
fait
connaissance
avec
la
ville
d'Angers
où
quelques
années
plus
tard
il
verra
la
Lumière
maçonnique.
C'est
là
qu'il
est
nommé
sergent,
avant
de
prendre
du
service
dans
un
corps
de
gendarmerie
du
Maine-et-Loire.
Sa
vie
de
soldat
républicain
se
termine.
Une
ère
nouvelle
s'ouvre
devant
lui.
Il
devient
en
quelque
sorte
semi-sédentaire.
Bientôt,
il
passe
sous-lieutenant
quartier-maître
et,
en
1810,
lieutenant
quartier-maître.
Intellectuellement
curieux,
il
s'intéresse
à
un
maximum
de
disciplines
auxquelles
il
consacre
ses
loisirs.
Dès
1800,
il
se
lie
avec
les
personnes
composant
la
société.
En
son
logement,
il
y
a
trois
demoiselles
qui
aiment
beaucoup
la
lecture
et
lui
procurent
des
livres.
Souvent,
à
3
heures
du
matin,
il
est
encore
à
lire,
occupation
très
instructive
pour
lui.
Il
emprunte
aussi
des
ouvrages
à
la
bibliothèque
des
Invalides
à
Paris.
En
1801,
il
prend
un
maître
de
mathématiques
qui
lui
enseigne
le
calcul
fractionnaire
et
les
autres
parties
se
rattachant
à
cette
science
dont
il
sait
avoir
besoin
pour
son
futur
travail
de
comptable.
Il
insère
diverses
pièces
littéraires
dans
le
journal
du
département,
édicte
pour
lui-même
six
règles
d'or
du
parfait
comptable
au
rang
desquelles
il
place,
en
premier
lieu,
l'obligation
d'être
probe
et
de
ne
point
se
laisser
entraîner
par
l'appât
du
gain
et
de
l'or,
et
en
second
lieu,
celle
de
donner
à
chacun
ce
qui
lui
revient,
de
manière
à
toujours
être
guidé
par
la
délicatesse
et
la
conscience.
Peu
après,
il
prend
un
maître
de
danse
puis
un
professeur
de
sciences.
Il
étudie
ainsi
la
géographie,
la
cosmographie,
l'astronomie,
la
mythologie,
l'histoire
universelle,
le
latin,
la
rhétorique,
les
belles-lettres,
l'italien,
la
botanique,
la
minéralogie,
soit
avec
des
professeurs
particuliers,
soit
à
l'école
départementale.
D'autre
part,
les
plaisirs
se
succèdent
et
il
a
l'avantage
d'être
connu
de
plusieurs
maisons
et
lancé
dans
diverses
sociétés
très
agréables.
Il
se
forme
une
bibliothèque,
se
fait
admettre
dans
une
société
de
gymnastique
puis
une
société
de
musique.
C'est
en
1804
que
commence
sa
«
carrière
»
maçonnique.
Le
7
juin,
il
est
admis
à
la
loge
du
«Père
de
Famille»
à
Angers,
aux
tenues
de
laquelle
il
assiste
régulièrement.
Il
en
fréquente
exactement
les
assemblées,
tant
d'instruction
que
de
réception,
qui
ont
lieu
plusieurs
fois
par
mois.
En
récompense
de
son
assiduité,
il
passe
compagnon
le
18
août
et
est
élevé
à
la
charge
de
porte-étendard
de
la
loge.
Son
entrée
en
maçonnerie
lui
vaut
d'être
invité
par
ses
frères,
et
plus
particulièrement
dans
la
société
du
général
Girardon
et
des
imprimeurs
Mame.
Le
24
septembre,
ayant
exactement
suivi
les
assemblées
d'instruction
maçonnique,
il
est
élevé
au
grade
de
maître.
Le
24
mars
1805,
il
est
présent
à
l'inauguration
et
à
l'installation
de
la
loge
du
Tendre
Accueil
à
Angers.
«
Cette
fête,
écrit-il,
par
la
fraîcheur
des
décorations,
le
nombre
de
maçons
réunis,
l'élégance
des
discours
prononcés
et
la
délicatesse
des
mets
qui
composaient
le
banquet,
fut
la
plus
belle
que
je
vis
dans
ce
genre
».
Le
29
décembre
1805,
il
est
envoyé
par
sa
loge
comme
député
à
la
loge
de
Beaufort
pour
l'inauguration
du
temple
qui
se
fait
avec
toute
la
pompe
et
la
splendeur
que
mérite
la
convocation
des
frères
et
amis.
On
y
lit
une
ode
fort
belle
sur
divers
morceaux
d'architecture.
Proposé
comme
aide
de
camp
du
général
Girardon,
il
décline
cette
offre
car,
se
trouvant
très
heureux
dans
la
gendarmerie,
il
préfère
y
rester
plutôt
que
de
courir
de
nouvelles
chances
à
la
guerre.
En
1806,
son
caractère
change;
il
devient
rêveur,
mélancolique,
mais
cela
ne
l'empêche
pas
de
donner
à
ses
secrétaires
des
cours
d'orthographe
et
de
grammaire.
Le
19
avril
1806,
d'après
les
connaissances
qu'il
a
acquises
dans
l'art
maçonnique,
il
est
promu
au
grade
d'Intendant,
8ème
degré
du
rite
écossais.
Le
5
septembre,
il
fait
partie
d'une
délégation
de
trois
maçons
allant
visiter
la
loge
de
Vihiers.
Celui
d'entre
eux
qui
était
orateur
avait
préparé
un
discours
d'arrivée,
alors
que
Bonnart
avait
été
chargé
des
remerciements.
Les
trois
députés
se
réuniront
plusieurs
fois
afin
de
convenir
de
leur
entrée
et
de
leur
maintien
pendant
la
séance
et
répéteront
leurs
planches
d'architecture
pour
avoir
une
attitude
assurée
lorsqu'ils
seront
en
évidence
dans
l'assemblée
maçonnique.
Au
retour
de
ce
voyage,
il
séjournera
deux
jours
chez
un
frère
rencontré
à
cette
cérémonie.
Le
3
juin
1807,
il
se
voit
conférer
le
titre
d'Elu,
11ème
degré
du
rite
écossais
et
le
30
novembre,
celui
de
Chevalier
d'Orient.
Enfin,
il
note
à
la
date
du
7
décembre:
«
La
lumière
ayant
dissipé
les
ténèbres
qui
m'enveloppaient,
je
reçus
le
titre
d'Illustre
Prince
Rose-Croix,
7ème
degré
de
la
maçonnerie
moderne
ou
française,
18ème
du
rit
ancien
ou
écossais.
Je
fis
partie
du
Souverain
Chapitre.
Je
conservai
toujours,
dans
les
dignités
de
la
loge,
la
charge
de
porte-étendard
».
Le
24
juin
1808,
il
parrainera
un
professeur
de
mnémonique
qui
s'était
adressé
à
lui
pour
recevoir
la
Lumière.
Médart
Bonnart
publie
vers
cette
époque
un
«
Tableau
synoptique
des
principes
généraux
de
la
grammaire
française
»
qui
lui
ouvre
les
portes
de
l'Athénée
de
la
Langue
Française
à
Paris.
Cependant,
bientôt,
ses
activités
professionnelles
vont
le
contraindre
à
mettre
un
terme
à
ses
activités
maçonniques.
Ainsi,
en
décembre
1809,
il
écrit
deux
lettres,
l'une
au
Vénérable
Maître
et
aux
frères
de
la
loge
du
Père
de
Famille,
l'autre
à
l'Athersata
et
aux
illustres
chevaliers
du
Souverain
Chapitre
du
Père
de
famille
afin
de
les
prévenir
que,
«
malgré
son
grand
désir
pour
la
propagation
des
lumières
maçonniques,
n'ayant
pu
depuis
quelque
temps
suivre
les
travaux
de
ces
ateliers,
et
regrettant
de
ne
pouvoir
se
rendre
assidûment
aux
séances
ultérieures,
il
suspend
ses
outils
à
la
porte
du
temple
jusqu'à
ce
qu'une
circonstance
plus
favorable
lui
permette
de
les
remettre
en
vigueur
».
Cette
circonstance
interviendra-t-elle?
Je
ne
sais.
En
tous
cas,
ces
deux
lettres
sont
les
dernières
mentions
que
le
frère
Bonnart
fait
de
la
maçonnerie
dans
ses
mémoires.
Mais
sa
carrière
profane
n'est
pas
finie.
En
1812,
il
est
envoyé
dans
la
Péninsule
comme
vérificateur
de
la
comptabilité
des
20
escadrons
de
gendarmerie
employés
à
l'armée
d'Espagne.
Le
19
septembre
1813,
il
est
nommé
chevalier
de
la
Légion
d'Honneur
et
Chevalier
de
Saint-Louis
le
2
juillet
1817.
Capitaine
de
gendarmerie,
il
sera
mis
à
la
retraite
en
1820.
Il
vit
alors
quelque
temps
à
Paris,
suit
des
cours
de
guitare
et
de
dessin,
s'inscrit
aux
cours
de
la
faculté
des
sciences
de
l'Académie
de
Paris
en
1824;
il
a
alors
49
ans.
Il
se
lance
dans
les
affaires
et,
en
1826,
rentre
dans
sa
ville
natale
où
il
épouse
la
fille
de
riches
négociants,
Louise-Caroline
Paillard,
dont
il
aura
un
fils,
mort
à
6
ans
et
demi
et
une
fille,
morte
à
l'âge
de
11
mois.
A-t-il
repris
contact
avec
la
franc-maçonnerie
pendant
sa
retraite,
je
l'ignore.
Peut-être
son
nom
figure-t-il
sur
le
tableau
de
l'une
ou
l'autre
loge
de
Paris
ou
de
Champagne.
A
la
fin
de
ses
mémoires,
ce
frère
philosophe
écrit:
«
Un
travail
opiniâtre
triomphe
de
toutes
les
difficultés.
Pour
couronner
l’œuvre,
s'il
ne
survient
rien
de
plus,
on
pourra
se
servir
de
ce
distique
pour
mon
épitaphe
:
Ci-gît
Bonnart
le
capitaine,
Qui
fut
heureux,
mais
non
sans
peine.
»
Voilà
qui
fut
Médart
Bonnart,
militaire
maçon,
homme
probe
et
libre.
En
conclusion,
on
peut
dire
que
l'Ordre
Maçonnique,
depuis
sa
renaissance
sous
le
Directoire,
a
retrouvé
sous
l'Empire,
ce
qui
a
fait
son
éclat
au
XVIIIème
siècle.
Il
a
pu
rassembler
dans
sa
hiérarchie
les
grands
noms
du
régime
alors
que
la
population
des
loges
est
constituée
de
fonctionnaires,
de
bourgeois,
de
militaires.
Sans
doute
la
maçonnerie
recevait-elle
ainsi
un
licol
doré.
Sans
doute,
devenue
instrument
du
règne,
ne
pouvait-elle
être
que
conformiste.
Mais
l'Ordre
se
suffit
à
lui-même.
Il
recrute
dans
l'Europe
entière.
On
a
vu
que,
lorsque
la
maçonnerie
aura
obtenu
le
patronage
du
gouvernement,
ses
loges
resteront
soumises
à
une
surveillance
toujours
attentive.
C'est
le
prix
qu'il
lui
faudra
payer
le
droit
d'exister.
Vaste
réseau
d'associations
réparties
sur
l'ensemble
du
territoire,
elle
allait
pouvoir
aider
le
gouvernement
à
suivre,
à
contrôler
l'opinion,
à
obtenir
des
collaborations
utiles.
Certains
n'ont
pas
hésité
à
dire
qu'elle
s'était
faite
esclave
du
pouvoir.
Sans
doute
y
a-t-il
du
vrai
dans
cette
opinion.
Mais
c'était
pour
elle
le
seul
moyen
de
reprendre
force
et
vigueur
après
la
période
d'obscurantisme
révolutionnaire.
Au
vu
des
chiffres
cités
plus
haut,
on
ne
peut
nier
que
ce
fut
une
réussite.
J.
Declercq
.
Fleurus.
1979.
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