Cambacéres,
archichancelier
et
franc-maçon.
Je
vous
propose
ici
le
portrait,
vu
sous
l’angle
de
la
franc-maçonnerie,
de
Jean-Jacques-Régis
Cambacérès,
personnage
éminemment
important
dans
l’histoire
de
son
époque
et
pourtant
tellement
méconnu,
voire
calomnié
par
ses
détracteurs
politiques,
carrément
inconnu
même
de
certains
puisque,
lorsqu’en
1999
furent
enfin
publiés
ses
«
Mémoires
inédits
»,
le
Salon
du
Livre
de
Cabourg
invita
«
Jean-Jacques-Régis
de
Cambacérès
à
venir
signer
son
dernier
livre
».
L’énumération
de
ses
titres,
tant
civils
que
maçonniques,
a
de
quoi
donner
le
tournis.
Jugez-en
:
jurisconsulte,
conseiller
à
la
cour
des
aides
du
Languedoc,
procureur-syndic
du
district
de
Montpellier,
président
du
tribunal
criminel
de
l’Hérault,
député
à
la
Convention,
président
de
cette
assemblée
puis
du
Conseil
des
Cinq-Cents,
président
du
Comité
de
législation
puis
du
Comité
de
Salut
Public,
ministre
de
la
Justice,
Second
Consul,
archichancelier
de
l’Empire,
assurant
l’intérim
lors
des
absences
de
Napoléon,
président
du
Conseil
des
Ministres,
du
Conseil
d’Etat,
du
Sénat,
du
Conseil
privé,
du
Conseil
du
Sceau
des
titres,
membre
de
l’Institut
dans
la
classe
des
Sciences
morales
et
politiques,
titulaire
des
plus
hautes
distinctions
européennes
et
prince
français,
duc
de
Parme.
Et
aussi
administrateur
d’une
vingtaine
d’associations,
sociétés,
clubs
dont
la
Société
maternelle
de
l’Impératrice
Marie-Louise.
Voilà
pour
ses
fonctions
publiques.
A
côté
de
cela,
prieur
de
la
confrérie
des
Pénitents
Blancs
de
Montpellier,
Grand
Maître
adjoint
du
Grand
Orient
de
France,
Souverain
Grand
Commandeur
du
Suprême
Conseil
du
Rite
Ecossais
Ancien
et
Accepté,
grand
maître
du
Rite
Ecossais
Philosophique,
grand
maître
des
directoires
écossais
du
Rite
Ecossais
Rectifié,
grand
maître
du
rite
primitif
de
Narbonne,
et
grand
maître
du
rite
d’Heredom
de
Kilwinning.
La
tradition
historique
n’a
pourtant,
jusqu’il
y
a
peu,
retenu
de
lui
que
ces
caricatures
et
pamphlets
parus
en
1814,
à
la
fin
de
l’Empire,
l’alourdissant
d’une
morgue
fastueuse
et
d’une
homosexualité
ridiculisée.
Ses
frères
eux-mêmes
l’ont
longtemps
mal
connu.
Le
grand
orateur
du
Grand
Orient,
à
l’occasion
d’une
tenue
funèbre
commémorant
le
centenaire
de
son
décès,
n’hésitait
pas
à
proclamer
:
«
Modéré
par
caractère,
il
eut
le
malheur
d’être
travaillé
par
une
ambition
d’autant
moins
pardonnable
qu’elle
s’accordait
mal
avec
son
défaut
de
courage
et
son
goût
pour
les
jouissances
qui
énervent
l’âme
et
la
privent
de
tout
ressort
;
sa
soif
du
pouvoir
et
des
richesses
fit
violence
à
ses
inclinations
naturellement
douces.
La
peur,
autant
que
ses
vues
ambitieuses,
dictait
presque
toujours
sa
conviction.
»
Bien
heureusement,
Mme
Laure
Chatel
de
Brancion
a
retrouvé
et
publié,
en
1999,
ses
Mémoires
inédits
et
lui
a
rendu
justice
dans
une
remarquable
biographie
de
quelque
640
pages
parue
en
2001
sous
le
titre
«
Cambacérès,
maître
d’œuvre
de
Napoléon
»,
d’où
est
extraite
la
majorité
des
renseignements
ayant
servi
à
cette
planche.
Vous
comprendrez
aisément
qu’il
ne
peut
être
question
d’évoquer
ici
tous
les
aspects
de
ce
personnage
;
aussi
me
limiterai-je
à
sa
vie
maçonnique.
Notre
homme
naît
à
Montpellier
le
18
octobre
1753,
dixième
enfant
de
Jean
–Antoine
et
de
Rose
Vassal,
dans
une
famille
qui
avait
dû
abjurer
le
protestantisme
au
siècle
précédent.
Son
grand-père,
Jacques
de
Cambacérès,
conseiller
à
la
Cour
des
Aides
de
Montpellier,
avait
épousé
Elisabeth
Duvidal,
sœur
de
Jean-Antoine
Duvidal,
seigneur
de
Montferrier
et
Baillarguet,
syndic
général
des
Etats
du
Languedoc,
menant
grand
train
tant
à
Paris
qu’en
Languedoc.
Ce
dernier,
avec
son
ami
Joseph
Bonnier,
baron
de
La
Mosson,
passe
une
partie
de
l’année
à
Paris
et
y
fréquente
le
milieu
des
philosophes
des
Lumières.
Un
ami
commun
leur
a
présenté
Charles
Radcliffe,
comte
Derwentwater,
fondateur
d’une
loge
de
francs-maçons
chez
le
traiteur
anglais
Hure,
à
l’enseigne
du
«
Louis
d’Argent
».
Tous
deux
sont
reçus
francs-maçons
et,
de
retour
à
Montpellier,
y
fondent
une
loge
qui
recrute
financiers
et
magistrats,
et
parmi
eux,
Jacques
de
Cambacérès,
séduit
par
cette
spiritualité
humaniste
et
le
côté
frondeur
d’une
société
qui
s’est
fait
interdire
par
le
cardinal
de
Fleury
sur
ordre
de
Louis
XV.
Jacques
de
Cambacérès
mourra
en
1752.
L’oncle
de
Jean-Jacques-Régis,
Jean
Vassal
est
également
maçon,
tout
comme,
probablement,
son
père,
Jean-Antoine
de
Cambacérès.
Cette
ascendance
familiale
explique
sans
doute
que,
dès
avant
l’âge
de
20
ans,
il
est
initié.
En
1772,
on
le
trouve
inscrit
sur
les
tableaux
de
la
loge
anglaise
Saint-Jean
du
Secret
et
de
l’Harmonie
à
Montpellier,
où
il
côtoie
financiers,
magistrats
et
entrepreneurs.
Son
entrée
rapide
dans
l’ordre
ne
s’explique
pas
seulement
par
ses
antécédents
familiaux.
En
effet,
en
1772,
il
est
en
opposition
au
système
en
vigueur
et
refuse
d’intégrer
la
nouvelle
magistrature
proposée
par
le
gouvernement.
Il
s’est
agrégé
à
un
groupe
de
magistrats
réfractaires
dont
beaucoup
sont
maçons.
Ses
amis
l’ont
donc
engagé
à
recevoir
la
Lumière.
Par
ailleurs,
lui-même
avait
le
désir
d’échanger
des
opinions,
de
confronter
des
convictions,
d’apprendre
et
de
trouver
des
repères
dans
une
société
qui
évolue.
Par
ses
contacts
avec
le
médecin
et
chimiste
Chaptal,
il
pouvait
appréhender
un
monde
scientifique
qui
remettait
en
cause
tant
de
croyances.
Enfin,
l’expérience
confessionnelle
de
sa
famille
l’incitait
à
rechercher
des
nourritures
spirituelles
alors
que
son
métier
le
tournait
vers
le
quotidien.
Il
plonge
d’ailleurs
à
cette
époque
dans
l’étude
des
diverses
religions
connues,
se
penche
sur
le
problème
du
crime
et
du
châtiment,
de
l’enfer
et
de
l’au-delà
pour
conclure
:
«
Il
n’y
a
qu’une
grande
foi
qui
puisse
faire
croire
à
une
autre
vie.
Et
comment
avoir
de
la
foi
ou
une
croyance
aveugle
pour
ce
qui
peut
être
soumis
aux
lumières
de
la
raison
?
».
Comme
la
grande
partie
de
l’élite
intellectuelle
de
l’époque,
il
professe
son
mépris
pour
les
usages
antiques
de
l’Eglise,
son
obscurantisme
et
son
exigence
de
pouvoir
et
de
richesses
;
il
adhère
à
l’humanisme,
au
dévouement
aux
autres
et
aux
sentiments
de
fraternité
qu’il
exprime
par
sa
participation
active
dans
la
confrérie
des
Pénitents
Blancs.
C’est
l’époque
où
l’opposition
entre
les
Frères
de
l’aristocratie
provinciale
et
ceux
de
la
bourgeoisie
parisienne
allait
conduire
à
la
création
du
Grand
Orient
de
France
par
des
Frères
expulsés
de
la
Grande
Loge.
C’est
l’époque
aussi
où
Willermoz,
à
Lyon,
prône
la
réforme
mise
sur
pied
en
Allemagne,
réforme
qui
prétend
aller
vers
«
la
révélation
d’une
véritable
connaissance
».
Les
errements
de
la
franc-maçonnerie
parisienne
avaient
fait
rattacher
la
loge
de
Cambacérès
à
la
grande
loge
de
Londres.
Astuc,
le
Vénérable
de
cette
loge
veut
suivre
la
réforme
allemande
et
demande
des
constitutions
à
la
Grande
Loge
de
Dresde
en
mai
1773.
Cette
démarche
dérange
un
certain
nombre
de
frères
montpelliérains
qui
préfèrent
se
rallier
au
Grand
Orient.
Cambacérès,
qui
s’est
engagé
avec
sérieux
dans
la
franc-maçonnerie,
ne
veut
pas
rester
à
l’écart
des
mouvements
internes
mais
recule
cependant
devant
l’occultisme
de
Willermoz.
On
le
retrouve
donc
en
1776
sur
les
tableaux
de
la
loge
L’Ancienne
et
la
Réunion
des
Elus,
reconnue
par
le
Grand
Orient.
La
Cour
des
aides,
où
il
siège,
a
fusionné
avec
la
Cour
des
comptes
et
avec
les
Domaines.
La
nouvelle
Cour
ainsi
formée
ne
siégeant
que
par
semestre,
Cambacérès
peut
se
permettre
d’écrire
et
de
versifier,
de
préparer
sa
carrière
de
magistrat
et
de
jurisconsulte
;
dans
les
années
1780,
en
adepte
du
siècle
des
Lumières,
il
prononce
des
remontrances
au
roi
qui
veut
supprimer
certaines
attributions
de
la
Cour
et
il
réclame
contre
«
toute
disposition
qui
tendrait
à
substituer
à
la
marche
constante
des
tribunaux
les
secousses
irrégulières
d’une
volonté
arbitraire
».
Il
voyage
également
beaucoup
par
tout
le
royaume,
à
Paris,
Marseille,
Bordeaux,
siège
du
directoire
de
Septimanie
du
rite
écossais
rectifié,
où
il
fréquente
de
nombreuses
connaissances
tant
familiales
que
maçonniques,
nouant
par
sa
participation
aux
activités
maçonniques
des
relations
avec
un
cercle
étendu
d’avocats
et
de
financiers.
Il
mène
ainsi
une
vie
à
la
fois
studieuse
et
mondaine,
éclairée
par
la
fenêtre
spirituelle
de
la
confrérie
des
Pénitents
Blancs
et
celle,
plus
intellectuelle,
des
loges
maçonniques,
une
vie
toute
imprégnée
d’un
fort
sentiment
de
solidarité
qu’il
conservera
malgré
son
ascension
sociale.
Joyeux
célibataire,
le
plaisir
des
sens
ne
lui
est
pas
inconnu
;
probablement
a-t-il
rencontré
à
la
loge
La
Candeur
à
Paris
Choderlos
de
Laclos,
l’auteur
des
Liaisons
Dangereuses.
Jean
écrira
un
jour
:
«
Il
y
a
peu
de
femmes
qui
se
livrent
par
inclination.
Il
n’en
est
aucune
qui
ne
soit
insensible
à
l’hommage
d’un
homme
distingué.
L’aune
de
ce
sentiment
les
décide
à
se
livrer.
Combien
la
femme
qu’on
croyait
la
plus
relevée
fait
d’étranges
révélations
à
son
amant
lorsqu’elle
s’est
abandonnée,
etc.,
etc.
»
En
1786,
il
est
député
par
sa
loge
auprès
du
Grand
Orient
et
présente
à
Roëttiers
de
Montaleau
ses
pouvoirs
rédigés
en
termes
élogieux
par
L’Ancienne
et
la
Réunion
des
Elus
:
«
Lorsque
vous
connaîtrez
toutes
les
vertus
qui
le
caractérisent,
vous
nous
remercierez
de
vous
avoir
adressé
un
frère
aussi
distingué,
autant
rempli
de
mérites,
et
que
nous
nous
félicitons
tous
les
jours
de
posséder
parmi
nous
».
A
Paris,
il
visite
la
loge
des
Neuf
Sœurs
et
fait
la
connaissance
de
Condorcet.
Il
fréquente
aussi
la
loge
des
Amis
Réunis
qui
«
forme
une
société
d’amis
à
peu
près
pareille
aux
clubs
d’Angleterre
mais
qui
doit
à
la
maçonnerie,
dont
l’esprit
de
corps
est
la
franchise,
l’égalité,
la
bienfaisance
et
la
pratique
de
toutes
les
vertus
sociales,
des
liens
d’autant
plus
étroits
qu’ils
seraient
resserrés
par
une
estime
réciproque
et
une
connaissance
respective
les
uns
des
autres
qui
ne
peut
manquer
d’être
la
suite
du
régime
républicain
d’une
loge
de
francs-maçons
».
Cet
atelier
a
également
pour
caractéristique
d’être
peuplé
pour
l’essentiel
de
financiers
tels
le
directeur
de
la
compagnie
des
Indes,
celui
de
la
manufacture
des
Gobelins,
le
trésorier
général
de
la
Marine,
des
receveurs
généraux
etc.
On
discute
beaucoup
en
ces
milieux
de
la
dernière
affaire
judiciaire,
celle
des
trois
roués
pour
laquelle
le
président
du
parlement
de
Bordeaux,
soutenu
par
les
membres
des
Neuf
Sœurs,
écrit
un
mémoire
retentissant
critiquant
la
législation
criminelle
et
demandant
la
révision
du
procès.
Cambacérès
prend
le
parti
des
rénovateurs
à
la
suite
de
Condorcet
qui
apprécie
grandement
ses
compétences
juridiques.
Mais
bientôt
survient
1789
et
la
suppression
des
privilèges
et
donc
celle
du
statut
des
magistrats
de
la
cour
des
comptes,
aides
et
finances
de
Montpellier.
Dès
l’année
suivante,
monsieur
de
Cambacérès
abandonne
définitivement
sa
particule.
Jamais
il
ne
la
reprendra,
même
pas
lorsque
les
plus
grands
honneurs
seront
les
siens.
Le
système
judiciaire
ayant
été
réformé
par
l’Assemblée
Législative,
Jean
Cambacérès
est
élu
président
du
tribunal
criminel
de
l’Hérault
siégeant
à
Montpellier
;
il
est
installé
dans
ses
fonctions
le
1
janvier
1792.
Dans
l’exercice
de
celles-ci,
il
exprimera
son
idéal
maçonnique.
S’il
ne
se
prononce
pas
publiquement
sur
l’abolition
de
la
peine
de
mort,
il
l’évitera
toujours
lorsque
cela
sera
en
son
pouvoir
et
ne
la
fera
appliquer
–
mais
alors
sans
hésitation
–
que
si
l’ordre
public
est
troublé.
Cette
présidence
du
tribunal
criminel
le
marquera
très
profondément.
Le
pouvoir
de
vie
ou
de
mort
qu’il
détient
l’oblige
à
une
perpétuelle
remise
en
cause.
Il
écrira
que
«
quand
on
juge
les
hommes,
il
ne
faut
jamais
les
séparer
des
événements
»
et
aussi
que
«
l’âme
d’un
fameux
coupable
ne
diffère
souvent
de
celle
d’un
grand
homme
que
par
l’objet
vers
lequel
la
fatalité
l’a
déterminé
».
Le
spectre
de
Voltaire
le
hantera
pendant
toute
cette
année,
aiguillonnant
sa
quête
de
vérité.
Bientôt
élu
député
à
la
Convention,
il
arrive
le
18
août
1792
à
Paris.
Il
y
rencontre
très
vite
Roëttiers
de
Montaleau,
haut
dignitaire
de
Grand
orient
qu’il
connaît
depuis
longtemps.
Celui-ci
lui
raconte
les
difficultés
dues
au
combat
passionné
des
opinions
politiques
au
sein
des
loges.
Comment
les
frères
pourraient-ils
respecter
leurs
serments
de
fraternité
maçonnique
?
Beaucoup
d’entre
eux
ont
émigré
derrière
les
frères
du
roi,
maçons
eux-mêmes.
Les
loges
se
sont
vidées.
Le
duc
d’Orléans,
grand
maître
du
Grand
Orient,
joue
son
propre
jeu.
Certains
le
suivent,
espérant
qu’il
réussira
à
prendre
le
pouvoir.
Beaucoup
se
méfient,
critiquent.
Les
soupçons
s’installent
avec
la
crainte
du
lendemain
et
ralentissent
toutes
les
activités
maçonniques
dans
l’attente
de
jours
meilleurs.
La
franc-maçonnerie
rentre
dans
l’ombre,
sinon
en
léthargie.
Jean
Cambacérès
doit
donc
se
rendre
à
l’évidence
:
la
passion
partisane
déborde
même
les
convictions
spirituelles.
A
la
Convention,
il
a
de
quoi
s’inquiéter.
«
Les
tribunaux
n’ont
été
que
le
support
de
la
tyrannie
»
proclame
Billaud-Varennes,
tandis
que
Danton
ajoute
:
«
Remarquez
que
tous
les
hommes
de
loi
sont
d’une
aristocratie
révoltante
».
Il
devient
cependant
président
du
comité
de
législation,
et
le
jugement
du
ci-devant
roi
occupe
bientôt
tous
les
esprits.
Cambacérès
essaiera
plusieurs
fois
d’infléchir
la
procédure
en
faveur
de
l’accusé,
en
vain.
Appelé
à
voter,
il
s’adressera
alors
à
l’assemblée
en
ces
termes
:
«
Citoyens,
si
Louis
eût
été
conduit
devant
le
tribunal
que
je
présidais,
j’aurais
ouvert
le
code
pénal,
et
je
l’aurais
condamné
aux
peines
établies
contre
les
conspirateurs
;
mais
ici,
j’ai
d’autres
devoirs
à
remplir.
L’intérêt
de
la
France,
l’intérêt
des
nations
ont
déterminé
la
Convention
à
ne
pas
renvoyer
Louis
aux
juges
ordinaires
et
à
ne
point
assujettir
son
procès
aux
formes
prescrites.
Pourquoi
cette
distinction
?
C’est
qu’il
a
paru
nécessaire
de
décider
de
son
sort
par
un
grand
acte
de
la
justice
nationale
;
c’est
que
les
considérations
politiques
ont
dû
prévaloir
sur
les
règles
de
l’ordre
judiciaire
;
c’est
qu’on
a
reconnu
qu’il
ne
fallait
pas
s’attacher
servilement
à
l’application
de
la
loi,
mais
chercher
la
mesure
qui
paraissait
la
plus
utile
au
peuple.
La
mort
de
Louis
ne
nous
présenterait
aucun
de
ces
avantages
;
la
prolongation
de
son
existence
peut
au
contraire
nous
servir.
Il
y
aurait
de
l’imprudence
à
se
dessaisir
d’un
otage
qui
doit
contenir
les
ennemis
de
l’intérieur
et
de
l’extérieur.
D’après
ces
considérations,
j’estime
que
la
Convention
nationale
doit
décréter
que
Louis
a
encouru
les
peines
établies
contre
les
conspirateurs
par
le
code
pénal,
qu’elle
doit
suspendre
l’exécution
du
décret
jusqu’à
la
cessation
des
hostilités,
époque
à
laquelle
il
sera
définitivement
prononcé
par
la
Convention
ou
par
le
corps
législatif
sur
le
sort
de
Louis
qui
demeurera
jusqu’alors
en
état
de
détention
;
et,
néanmoins,
en
cas
d’invasion
du
territoire
français
par
les
ennemis
de
la
République,
le
décret
sera
mis
à
exécution.
»
A
la
confirmation
du
vote,
il
redira
que
le
sien
est
contre
la
mort.
Par
la
suite,
il
votera
pour
le
sursis
puis,
lorsque
les
jeux
seront
faits,
il
reprendra
la
parole
à
la
tribune.
Tout
étant
consommé,
il
y
proclamera
la
nécessité
d’apporter
des
secours
humains
et
spirituels
au
condamné.
Une
autre
épreuve
attend
le
F
:.
Cambacérès
:
celle
d’interroger
le
F
:.
Philippe
d’Orléans,
son
ancien
grand
maître
en
franc-maçonnerie.
Là
encore,
il
essaie
de
limiter
les
dégâts
et
fait
à
la
tribune
de
la
Convention
le
compte-rendu
de
l’affaire
avec
clarté
et
une
extrême
prudence.
«
On
m‘a
chargé,
proclame-t-il,
de
vous
faire
un
simple
récit,
et
non
de
vous
présenter
un
projet
de
décret
».
Et
de
demander
qu’aucune
décision
ne
soit
prise
avant
l’audition
de
Dumouriez.
Je
ne
peux
ici
rentrer
dans
les
détails
de
cette
sombre
période
de
laquelle
le
F
:.
Cambacérès
sortira
sans
dommages,
s’étant
cantonné
dans
son
rôle
de
président
du
comité
de
législation.
Il
se
consacre
entièrement
à
cette
fonction
de
législateur
et
planche
sur
la
rédaction
d’un
code
civil,
rédaction
qui
verra
son
aboutissement
dans
le
code
dit
Code
Napoléon.
Dans
ses
projets
successifs,
il
insistera
sur
le
respect
de
l’individu,
dégageant
alors
une
théorie
de
l’autonomie
de
la
volonté
:
«
l’homme
n’est
pas
heureux
s’il
n’est
pas
libre
dans
le
choix
de
ses
jouissances
;
le
bonheur
de
l’homme
consiste
bien
plus
dans
sa
manière
de
jouir
que
dans
la
jouissance
elle-même.
Chacun
compose
son
bonheur
des
éléments
de
son
choix.
Les
hommes,
en
réglant
entre
eux
les
transactions
sociales,
s’imposent
eux-mêmes
des
engagements
qu’ils
forment,
étendent,
limitent
et
modifient
par
un
consentement
libre.
C’est
être
libre
que
d’être
esclave
des
lois.
»
Après
thermidor,
à
partir
de
l’automne
1794,
Cambacérès
est
au
gouvernement
de
la
France
;
il
se
fait
investir
de
la
présidence
du
comité
de
Salut
Public.
Ses
qualités,
comme
ses
qualifications
en
font
un
incontournable
de
la
direction
du
pays.
C’est
ce
qui
bientôt
fera
de
lui
le
deuxième
consul
après
le
coup
d’état
de
brumaire,
puis
l’archichancelier
de
l’empire
et
maître
d’œuvre
de
Napoléon,ainsi
que
l’appelle
sa
biographe
Laurence
Chatel
de
Brancion,
après
le
couronnement
de
Bonaparte.
Mais
laissons
de
côté
sa
carrière
publique
et
revenons
à
ce
qui
nous
occupe
plus
particulièrement,
même
si
l’une
et
l’autre
facettes
de
sa
vie
sont
étroitement
imbriquées,
puisque,
par
exemple,
lorsqu’il
présente
à
la
tribune,
comme
responsable
de
la
politique
extérieure
de
la
France,
le
traité
de
paix
signé
avec
la
Toscane,
c’est
le
franc-maçon
qui
parle
;
il
établit
le
fondement
des
organisations
internationales
actuelles,
en
rupture
totale
avec
les
mœurs
de
l’époque
:
«
S’il
existait
en
Europe,
proclame-t-il,
un
droit
des
nations,
des
principes
reconnus
d’indépendance,
de
liberté
de
commerce
et
de
navigation,
s’il
existait
un
plan
contre
l’ambition
des
puissances
usurpatrices
et
une
garantie
pour
la
sûreté
des
états
faibles,
alors
les
conditions
de
la
paix
seraient
facilement
dictées
et
acceptées
;
alors,
nous
n’aurions
pas
de
guerre
à
soutenir.
»
Dans
le
courant
de
l’année
1795,
derrière
sa
volonté
de
protection
de
l’intimité
et
de
la
liberté
individuelle,
pour
lui
principes
de
base,
Cambacérès
exprime
son
désir
de
protéger
les
premiers
pas
des
loges
maçonniques
qui
renaissent
après
la
tornade
de
la
Terreur.
Ces
hommes
éclairés
et
modérés
doivent
pouvoir
se
réunir
chez
l’un
ou
chez
l’autre
sans
être
inquiétés
car
la
franc-maçonnerie
peut
être
un
ferment
d’amélioration
du
climat
politique
et,
si
on
lui
en
laisse
le
temps,
un
éducateur
de
l’opinion.
Dans
ce
même
esprit
d’éduquer
l’opinion,
il
pousse
la
Convention
à
mettre
sur
pied
un
ensemble
d’écoles
spécialisées,
comme
l’Ecole
normale,
l’Ecole
des
langues
orientales,
l’Ecole
polytechnique,
les
écoles
de
santé
et
les
écoles
centrales,
futurs
lycées
napoléoniens.
Plus
tard
(1803),
il
poussera
à
la
création
du
corps
des
auditeurs
au
Conseil
d’Etat,
officiellement
chargés
d’aider
les
ministres
et
directeurs
auprès
desquels
ils
seront
placés,
utilisant
ce
temps
comme
un
apprentissage
de
la
fonction
publique.
Très
profondément
imprégné
de
culture
maçonnique,
qui
met
en
avant
la
formation
par
la
transmission
de
l’expérience
du
maître,
il
veut
ainsi
éduquer
et
préparer
de
jeunes
hommes
à
la
haute
administration
et
au
gouvernement.
Remarquons
d’ailleurs
que
ces
auditeurs,
lorsqu’ils
seront
admis
à
assister
aux
réunions
du
Conseil
devront,
comme
les
apprentis
en
loge,
garder
le
silence.
Le
24
juin
1795,
la
Grande
Loge
célèbre
son
réveil.
Celui
du
Grand
Orient
interviendra
l’année
suivante.
Cambacérès
fréquente
la
loge
du
Vrai
Zèle.
Il
rencontre
au
sein
des
ateliers
des
hommes
qu’il
ne
côtoie
pas
habituellement
:
les
militaires,
tels
Kellerman
ou
Masséna,
titulaires
comme
lui
de
hauts
grades
maçonniques.
Le
5
mars
1797,
il
quitte
provisoirement
la
vie
politique,
n’étant
pas
réélu
au
Conseil
des
Cinq
Cents.
Amer,
il
sort
de
cette
arène
pour
s’installer
comme
conseiller
juridique
et
financier
d’hommes
d’affaire
célèbres
et
de
banquiers
et
pour
s’intéresser
à
l’économie
politique.
Pendant
trois
années,
il
exerce
cette
profession
libérale
et
ce
temps
sera
le
plus
heureux
de
sa
vie.
Le
24
février
1798,
devant
la
classe
des
sciences
sociales
et
politiques
de
l’Institut,
à
laquelle
il
appartient,
il
prononce
un
discours
révélateur
sur
la
science
sociale.
Il
y
proclame
qu’
«
aucune
science
plus
que
la
science
sociale
n’a
besoin
d’être
perfectionnée.
Cette
science
est
presque
à
créer.
La
plupart
de
ses
principes
sont
encore
incertains,
indéterminés.
De
grands
génies
ont
fait
de
grandes
découvertes,
mais
un
esprit
d’intolérance
a
partout
repoussé
la
vérité.
(…)
Les
savants
illustres,
les
artistes
célèbres,
les
philosophes
profonds
sont
comme
les
héros,
les
enfants
de
la
liberté.
Il
n’est
de
véritable
pensée
que
celle
qui
est
libre,
comme
il
n’est
de
véritable
science
que
celle
qui
n’est
point
fondée
sur
l’autorité,
car
la
science
n’est
point
une
croyance
mais
une
expérience.
»
Et
d’ajouter
:
«
Le
cri
de
la
liberté
semble
sortir
de
dessous
les
ruines
des
empires,
et
l’Europe
ébranlée
semble
en
travail
pour
enfanter
un
nouvel
ordre
des
choses.
»
Il
pense
à
la
puissance
développée
par
les
réseaux
internationaux,
non
seulement
à
ceux
créés
par
les
financiers,
mais
aussi
et
surtout
à
ces
associations
d’origine
religieuse,
comme
l’ordre
de
Malte,
ou
philosophique,
comme
la
franc-maçonnerie,
qui
véhiculent
des
valeurs
communes
et
forment
des
sociétés
qui
ignorent
les
frontières.
Déjà
il
entrevoit
le
rôle
que
pourra
jouer,
que
jouera,
la
franc-maçonnerie
dans
les
années
à
venir
pour
assurer
ce
formidable
brassage
des
cultures
européennes
provoqué
par
les
conquêtes
napoléoniennes.
Avec
son
ami
et
frère
d’Aigrefeuille,
qui,
curieusement,
a
installé
à
Montpellier
l’ancien
grand
maître
de
l’ordre
de
Malte,
il
assiste
le
22
juin
1799
à
la
cérémonie
marquant
l’union
entre
le
Grand
Orient
et
la
Grande
Loge
de
France.
A
cette
tenue
solennelle
assistaient
29
officiers
des
deux
obédiences,
3
officiers
honoraires,
29
vénérables
ou
leurs
représentants
et
28
frères
visiteurs.
Le
mois
suivant,
il
devient
ministre
de
la
Justice.
A
ce
moment,
peu
d’hommes
sont
plus
à
même
que
lui
de
maîtriser
l’arsenal
légal
français,
si
complexe
à
la
fin
de
la
Révolution.
Le
12
décembre
1799,
Cambacérès
devient
deuxième
consul
de
la
République,
second
personnage
de
l’Etat
après
Bonaparte.
Lorsque
viendra,
au
tournant
du
siècle,
le
temps
de
la
désignation
des
nouveaux
préfets,
sa
double
appartenance
à
la
confrérie
des
Pénitents
blancs
et
à
la
franc-maçonnerie,
son
action
dans
la
société
des
amis
de
la
Constitution,
sa
carrière
à
la
cour
des
comptes
de
Montpellier,
dont
l’assise
était
la
province
entière
du
Languedoc,
toutes
ces
appartenances
lui
auront
fait
rencontrer
beaucoup
de
notables
locaux
au
sein
desquels
il
pourra
pêcher
des
propositions
de
nominations.
Il
apporte
aussi
un
soin
tout
particulier
à
la
composition
des
tribunaux
criminels
et
d’appel.
Dans
ce
processus
de
recrutement
des
magistrats
après
la
réforme
de
l’an
VIII,
la
franc-maçonnerie
joue-t-elle
un
rôle
?
Le
nombre
de
signatures
maçonniques
sur
les
lettres
de
demande
de
place
et
de
recommandation
oblige
à
considérer
que
l’importance
qu’il
attachait
à
son
appartenance
à
l’Ordre
était
de
notoriété
publique.
Pour
lui,
s’agissant
d’hommes
appartenant
à
divers
partis
politiques
mais
appréciant
des
valeurs
générales
communes,
les
nominations
sous-tendues
par
la
fraternité
maçonnique
ne
pouvaient
procurer
que
de
l’apaisement.
Il
marquera
sa
solidarité
maçonnique
à
bien
des
occasions.
Ainsi,
fait-il
libérer,
contre
l’avis
de
Bonaparte,
le
cousin
du
futur
sénateur
de
Choiseul-Praslin,
Claude
de
Choiseul-Stainville
qui,
après
avoir
émigré
à
Londres
avait
été
capturé
à
la
suite
du
naufrage
de
son
navire
au
large
de
Calais.
Remarquons
que
les
deux
Choiseul,
maçons
de
longue
date,
suivront
Cambacérès
dans
les
grades
élevés
de
l’Ordre.
Retourné,
on
l’a
vu,
très
tôt
vers
les
loges,
il
y
a
retrouvé
la
sociabilité
des
années
pré-révolutionnaires.
Pour
sauvegarder
cette
liberté
et
cette
tolérance,
et
aussi
pour
éviter
une
mainmise
sur
l’éducation,
il
reste
fermement
attaché
à
affirmer
l’indépendance
du
pays
vis-à-vis
de
Rome
et
rêve
d’établir
en
France
l’équivalent
de
l’Eglise
d’Angleterre.
Il
prêche
le
rassemblement
dans
la
tolérance
et
oriente
le
Premier
Consul
vers
un
gallicanisme
moderne.
Son
rôle
dans
la
négociation
du
Concordat
est
occulte
;
il
n’existe
qu’à
l’état
d’influence
par
des
discussions,
des
notes,
des
études.
Ce
descendant
de
protestants,
ce
défenseur
des
communautés
juives
suggère
aussi
que
des
accords
soient
passés
avec
les
responsables
de
ces
religions
pour
que
chacun
ait
le
droit
de
pratiquer
le
culte
de
son
choix
;
en
contrepartie,
ces
religions
se
couleront
dans
le
système
politique.
En
effet,
les
églises,
quelle
qu’elles
soient,
ne
peuvent
prétendre
exercer
une
action
hors
du
contrôle
de
l’Etat
;
le
gouvernement
doit
rester
seul
maître
à
bord.
Si
le
deuxième
Consul
dispose
comme
logement
officiel
de
l’hôtel
d’Elbeuf,
il
conserve
néanmoins
sa
maison
du
faubourg
Saint-Honoré
et
y
fait
effectuer
des
travaux
divers
dès
1802.
Il
fait
ainsi
installer
à
l’entrée
d’un
des
salons
deux
colonnes
dont
les
bases
et
les
chapiteaux
sont
en
granit
rose
d’Egypte,
ornées
de
bronzes
dorés,
très
symboliques
de
l’entrée
d’un
temple.
Cela
confirmerait
qu’il
y
abrite
une
loge
maçonnique.
L’habitude
de
tenir
loge
dans
des
appartements,
comme
au
XVIII
ème
siècle,
s’est
perpétuée
quelque
peu
pendant
la
révolution
pour
des
raisons
de
sécurité.
Pour
le
second
consul,
la
maison
du
faubourg
est
plus
discrète
que
le
local
officiel
du
Grand
Orient,
rue
du
Four,
voire
l’hôtel
d’Elbeuf
face
aux
Tuileries.
En
1804,
lorsque
l’Empire
se
dessine
et
que
l’on
discute
de
la
création
des
dignités
princières,
le
second
consul
dira
:
je
pars.
Il
fait
preuve
d’une
froide
fermeté,
ne
craignant
pas,
comme
cinq
ans
auparavant,
de
rentrer
dans
la
vie
civile
et
d’y
reprendre
ses
activités
au
service
des
milieux
d’affaires.
Bonaparte,
craignant
de
perdre
celui
qui
fut
le
maître
d’œuvre
de
l’édifice
de
l’Etat,
lui
fera
miroiter
le
rôle
de
conseiller
sincère
qu’il
pourra
continuer
à
jouer
près
de
lui,
et
le
fait
qu’il
pourra
encore
servir
son
pays.
Alors,
Cambacérès,
se
voyant
comme
Hiram,
l’architecte
du
Temple
tué
par
les
mauvais
compagnons,
mais
dont
l’influence
revit
au
travers
des
frères,
acceptera
la
dignité
d’Archichancelier
de
l’Empire,
premier
personnage
de
l’Etat
après
les
frères
de
l’Empereur.
Et
peut-être
est-ce
à
ce
moment
qu’il
songera
à
donner
à
la
franc-maçonnerie
une
importance
nationale.
Mais
bientôt,
déjà,
le
Code
civil
va
être
publié
;
certes,
ce
sera
sous
le
nom
de
Code
Napoléon,
mais
c’est
bien
le
frère
Cambacérès
qui
en
fut
la
cheville
ouvrière.
Par
ce
code,
il
a
construit
l’ordre
sur
le
chaos,
suivant
la
devise
du
nouveau
rite
écossais
ancien
et
accepté,
«
Ordo
ab
chao
»,
adoptée
à
peine
trois
ans
auparavant
à
Charleston.
Du
chaos
révolutionnaire
va
pouvoir
s’élever
une
société
organisée
et
efficace
que
symbolise
l’abeille,
un
des
deux
grands
symboles
de
l’Empire
qui,
choisie
par
lui-même,
semait
les
manteaux
du
Sacre.
Il
faut
être
comme
les
abeilles
qui
récoltent
et
organisent,
avait
dit
Bacon.
C'est
à
ce
moment-là
qu'il
se
préoccupe
concrètement
de
la
franc-maçonnerie.
Les
rapports
de
police
ont
signalé
l'essor
très
important
du
nombre
des
loges
depuis
le
début
du
Consulat
:
cent
quatorze
dont
vingt-sept
parisiennes
en
1802,
trois
cents
en
1804.
Vénérable
de
la
loge
Saint-Jean
de
la
Grande
Maîtrise,
quel
rôle
joue
Cambacérès
dans
les
conflits
entre
le
Grand
Orient
et
les
obédiences
de
rite
écossais
en
1802-1804
?
Dans
ses
papiers
se
retrouvent
de
nombreux
documents
relatifs
à
des
projets
de
traités
d'union.
Selon
son
habitude,
il
fait
réaliser
méthodiquement
un
historique
de
chacune
des
obédiences,
et
analyser
les
conflits.
Considérant
ceux-ci
comme
du
détail,
il
veut
arriver
à
un
accord
permettant
à
chacun
de
garder
ses
pratiques
dans
une
unité
d'ensemble
harmonieuse.
Du
fait
même
du
recrutement
dans
les
milieux
de
hauts
fonctionnaires
et
dans
l'armée,
leurs
rivalités
ou
désaccords
peuvent
être
facteurs
de
désunion.
L'Empereur
aurait
envisagé
de
résoudre
le
problème
en
supprimant
la
franc-maçonnerie,
et
il
fallut
les
protestations
de
Kellermann
dont
l'aide
de
camp,
de
Grasse-Tilly,
fils
du
héros
de
Yorktown,
venait
d'être
élu
Premier
Souverain
Grand
Commandeur
du
rite
écossais,
et
celles
de
Cambacérès
qui
fit
valoir
qu'interdire
la
maçonnerie
la
ferait
surgir
de
toutes
parts,
en
coulisses
et
dans
l'opposition,
pour
arrêter
cette
décision.
Est-ce
Cambacérès
qui
propose
que
Joseph
Bonaparte
soit
nommé
grand
maître
du
Grand
Orient
et
Louis
Bonaparte
de
la
Grande
Loge
Générale
Ecossaise
qui
vient
d'être
fondée
pour
fédérer
le
rite
?
On
le
retrouve
alors
avec
Kellermann
parmi
les
grands
dignitaires
de
ces
deux
obédiences,
et
c'est
le
genre
de
solution
qu'il
utilise
pour
tranquilliser
l'Empereur,
satisfaire
l'ego
des
princes
et
conserver
discrètement
la
maîtrise
de
l'action.
De
Grasse-Tilly,
Masséna,
Marescalchi,
Valence
sont
dans
la
Grande
Loge
Ecossaise,
Murat,
Roëttiers
de
Montaleau,
Lacépède,
Beurnonville,
Choiseul-Stainville
au
Grand
Orient.
Cambacérès
organise
des
tenues
dans
sa
maison
de
la
rue
Saint-Honoré,
véritable
exemple
de
fusion
des
opinions,
des
professions
et
des
milieux
sociaux,
auxquelles
participent
Kellermann,
Murat,
Muraire,
Choiseul-Stainville,
Isabey.
Réunir
ces
tenues
dans
sa
maison
privée
n'est
pas
anodin
:
cela
indique
que,
malgré
le
considérable
élément
politique
qui
entre
dans
l'existence
même
de
la
franc-maçonnerie
sous
l'Empire
-
le
simple
énoncé
des
noms
des
grands
dignitaires
le
prouve
-,
Cambacérès
continue
de
penser
qu'il
s'agit
d'activités
privées,
tout
en
voyant
bien
sûr
l'intérêt
de
ce
réseau
comme
véhicule
d'idées
et
d'informations.
Lors
des
nominations
à
la
magistrature,
on
n'hésitait
pas
à
signaler
à
l'attention
de
Cambacérès
l'appartenance
éventuelle
du
candidat
à
la
franc-maçonnerie,
et
nul
doute
qu'il
n'ait
des
tableaux
indicatifs
des
notabilités
locales
sur
lesquels
cette
qualité
apparaît
et
qu'il
envisage
de
pouvoir
y
recourir
si
le
besoin
s'en
fait
sentir.
Ainsi,
on
peut
penser
que
ses
liens
maçonniques
avec
le
préfet
de
l’Orne,
Victor
Lamagdelaine,
ne
sont
pas
pour
rien
dans
la
protection
dont
ce
dernier
bénéficie,
et
sont
peut-être
une
des
raisons
de
l'achat
dans
la
région
par
Cambacérès
de
plusieurs
domaines
en
1803
et
1804.
L'action
maçonnique
de
Lamagdelaine
est
représentative
des
souhaits
de
Cambacérès.
Vénérable
de
la
loge
La
Fidélité,
il
recrute
dans
tous
les
milieux
et,
dans
ce
département
de
tradition
royaliste,
il
transgresse
les
clivages
politiques
autour
de
la
spiritualité
maçonnique.
Il
va
même
plus
loin,
car,
à
cette
époque
particulièrement
sensible,
il
y
intègre
des
Anglo-Saxons.
Se
souvenant
des
raisons
de
son
échec
en
1795,
et
oeuvrant
à
la
constitution
de
ce
qu'on
appellerait
aujourd'hui
un
parti
politique
qui
soutienne
le
régime
dont
il
perçoit
la
grande
fragilité,
Cambacérès
en
voit
des
éléments
dans
la
franc-maçonnerie
dont
les
idées,
issues
des
Lumières,
nourrissent
la
monarchie
éclairée
qu'il
veut
voir
dans
l'Empire
napoléonien.
Mais
pour
être
efficaces,
les
diverses
obédiences
doivent
être
organisées
et
unies,
et
dirigées
avec
fiabilité.
Il
va
désormais
s'y
employer
avec
la
bénédiction
de
l'Empereur.
On
ne
peut
pas
ne
pas
noter
que
cette
décision
est
prise
au
moment
où
l'influence
que
les
deux
hommes
pensaient
pouvoir
prendre
sur
l’Eglise,
considérée
comme
corps
politique,
au
moyen
des
cardinaux
Fesch
et
Cambacérès,
leur
paraît
peu
probable
compte
tenu
du
caractère
des
intéressés.
Depuis
l'automne
précédent
se
déroule
en
France
une
autre
guerre
entre
les
loges,
les
rites
et
les
hommes
de
la
franc-maçonnerie.
Le
Grand
Orient
a
modifié
unilatéralement
le
concordat
élaboré
avec
les
représentants
du
rite
écossais
et
les
Princes
Maçons
écossais,
en
réponse,
le
dénoncent
sous
condition
suspensive
le
6
septembre
1805.
Le
9,
Kellermann
fait
savoir
au
Grand
Orient
que
Joseph
Bonaparte
et
Cambacérès
subordonnent
leur
installation
comme
grand
maître
et
grand
maître
adjoint
à
un
accord
avec
les
Ecossais
sur
le
concordat.
Les
frères
savent
qu’une
absence
d’accord
sonnerait
le
désaveu
impérial
avec
toutes
ses
conséquences.
Seize
séances
de
travail
aboutissent
à
un
texte
qui
est
finalement
approuvé.
Désormais,
le
Grand
Orient
régit
les
ateliers
écossais
du
1er
au
18ème
degré,
le
Suprême
Conseil
les
grades
supérieurs.
Le
13
décembre,
Cambacérès
est
installé
en
grande
pompe,
et
le
27,
il
préside
la
fête
de
la
Saint-Jean
d'hiver.
Notons
qu’il
n'y
a
pas
de
cérémonie
d'installation
pour
Joseph.
Patronnant
l'organisation,
Cambacérès
va
la
diriger
dans
les
voies
qu'il
souhaite,
et
en
particulier
il
opère
tout
de
suite
une
manœuvre
stratégique
pour
passer
les
frontières.
Dans
le
préambule,
il
a
fait
déclarer
que
cet
accord
est
conclu
pour
faire
participer
les
frères
aux
travaux
en
France
«
et
leur
procurer
un
accueil
certain
et
distingué
dans
tous
les
temples
élevés
à
la
surface
du
globe...
En
sorte
que
tous
les
maçons
s'élèveront
sans
obstacle
aux
connaissances
sublimes
à
mesure
qu'ils
croîtront...
Ils
jouiront
d'une
unité
de
régime
propre
à
assurer
l'uniformité
des
travaux
dans
les
loges
et
dans
les
chapitres
et
à
entretenir
l'harmonie
avec
les
Orients
étrangers,
et
à
propager
la
Lumière
dans
les
lieux
où
aucun
Orient
n'aurait
ouvert
les
travaux
de
la
sagesse.
»
On
ne
peut
être
plus
clair.
Les
documents
qui
nous
sont
parvenus
ne
permettent
pas
de
douter
de
la
«
compétence
»
maçonnique
du
grand
maître
adjoint,
bien
perçu
comme
autorité
réelle,
et
de
son
désir
de
diriger
un
ordre
unifié,
rassemblant
toutes
les
obédiences,
y
compris
les
plus
ésotériques,
telles
celles
d'Heredom
de
Killwinning,
de
la
Toison
d'or
ou
des
Philadelphes.
Dans
les
années
1806
et
1807,
il
devient
ainsi
Souverain
Grand
Commandeur
du
Suprême
Conseil
des
Souverains
Grands
Inspecteurs
généraux
de
la
Haute
Maçonnerie
pour
la
France,
grand
maître
d'honneur
de
la
Grande
Loge
provinciale
de
Heredom,
grand
maître
de
la
Mère
Loge
du
Rite
écossais
philosophique,
avant
de
devenir,
dans
les
deux
années
suivantes,
grand
maître
de
l'ordre
des
Chevaliers
bienfaisants
de
la
Cité
sainte,
Protecteur
du
Rite
primitif,
les
Philadelphes
de
Narbonne,
puis
grand
maître
des
différents
directoires
du
Rite
rectifié.
Savamment
instruit
des
historiques
et
particularités
de
chaque
obédience,
il
impose
son
autorité,
sans
heurt,
ayant
soin
d'assister
aux
tenues,
s'en
faisant
indiquer
le
cérémonial
et
même
préciser
la
batterie
à
scander.
Les
notes
de
musique
voisinent
dans
ses
papiers
avec
les
documents
en
écriture
maçonnique,
qu'il
maîtrise
donc
;
et
les
manuels
qu'il
fait,
selon
son
habitude,
relier
avec
raffinement,
s'entassent
dans
sa
bibliothèque.
Il
n'abandonne
aucune
de
ses
prérogatives,
bien
contraire,
nommant
les
officiers
sans
hésitation,
et
opérant
même
une
révision
des
statuts
du
Grand
Orient
afin
de
conférer
au
grand
maître
un
rôle
véritable
rendu
nécessaire
par
ses
«
délibérations
extrêmement
tumultueuses
».
Il
n'a
cependant
pas
usé
de
cette
autorité,
sincèrement
reconnue
et
appréciée,
pour
imposer
la
tutelle
du
Grand
Orient
choisi
malgré
tout
comme
centre
commun,
car
il
est
trop
sensible
à
la
spécificité
des
traditions
et
pratiques
dont
lui-même
et
tout
son
entourage,
d'Aigrefeuille
en
particulier,
sont
avertis.
La
symbolique
que
véhiculent
ces
écrits,
les
filiations
revendiquées
avec
les
ordres
de
chevalerie,
et
très
précisément
les
Templiers,
prennent
un
ton
révélateur
au
début
de
ce
siècle
qui
va
faire
revivre
le
Moyen
Age.
L'institution
de
la
Légion
d'honneur
avait
déjà,
par
certains
côtés,
rappelé
ces
ordres
et
Cambacérès
relate
à
ce
sujet
dans
ses
Mémoires
que
lorsqu'il
s'agit
de
définir
une
décoration,
on
évoqua
la
possibilité
de
prendre
la
veste
de
Malte.
Mais
s'il
est
de
longue
date
imprégné
de
cette
mentalité
d'ordre
hospitalier
et
bienfaisant,
de
recherche
de
la
vraie
science
pour
son
amélioration
personnelle,
Cambacérès,
essentiellement
homme
des
Lumières,
en
voit
aussi
la
grande
utilité
pour
le
régime,
et
ne
s'en
cache
pas
:
«
L'illustre
prince
qui
nous
préside
connaissait
la
maçonnerie.
Il
savait
que
la
première
loi
des
maçons
est
de
respecter
tous
les
liens
de
société
et
que
toutes
les
idées
libérales
sont
en
honneur
parmi
eux
;
il
a
jugé
que
leur
demande
méritait
d'être
accueillie.
Peut-être
même
a-t-il
pensé
qu'il
était
bon
que
des
hommes
de
tous
les
états
qui,
sur
tous
les
points
de
l'Empire,
occupent
leurs
loisirs
à
ces
réunions,
fussent
unis
au
gouvernement.
»
Au-delà
de
son
engagement
personnel,
trop
ancien
et
régulier
pour
être
suspecté,
Cambacérès
veut
maintenant
faire
de
l'ordre
maçonnique
un
réseau
transversal,
tissant
des
liens
au-delà
des
frontières,
dépassant
les
clivages
politiques
et
religieux,
visant
à
installer
une
mentalité
empreinte
des
Lumières
chez
les
notables
qui
pourraient
dès
lors
constituer
une
masse
stable
en
Europe
-
et
même
aux
Etats-Unis
où
l'implantation
se
fait
très
vite
-,
masse
qui
s'opposerait,
au
nom
de
ses
valeurs
communes,
à
des
conflits
irraisonnés.
Il
transfère
sur
le
plan
spirituel
ce
qu'il
appelait
de
ses
vœux
en
1795,
dans
son
discours
sur
la
science
sociale
:
la
paix
entre
les
peuples
ne
doit
pas
dépendre
de
la
volonté
solitaire
d'un
homme,
car
elle
disparaît
avec
lui,
et
puisque
les
problèmes
actuels
du
commerce
ne
permettent
pas
de
tisser
des
liens
économiques
conséquents,
il
faut
imprégner
les
esprits
avec
l'idéal
d'un
bonheur
commun.
Implanter
cette
même
pensée
chez
la
portion
la
plus
éclairée
des
populations,
investie
du
plus
grand
pouvoir
et
exerçant
la
plus
grande
influence
au
niveau
européen,
permettra
l'avènement
d'une
ère
libérale
et
pacifique.
Ce
but
occulte
est
assigné
à
la
franc-maçonnerie
alors
que
l'Empereur
fait
déferler
ses
armées
sur
la
Prusse,
l'«
alliée
naturelle
de
la
France
»,
dont
le
roi
Frédéric
Il
aurait
été
«
le
chef
suprême
de
la
haute
maçonnerie
sur
les
deux
hémisphères
»,
ainsi
que
le
rappelle
de
Grasse-Tilly,
qui
résigne
sa
propre
dignité
en
France
en
faveur
de
Cambacérès,
souhaitant
que
celui-ci
lui
rende
lustre
et
efficacité.
Déjà,
Cambacérès
entretenait
des
liens
occultes
avec
le
cardinal
Caprara,
légat
du
pape,
Melzi
et
Marescalchi,
hommes
politiques
de
premier
plan,
tous
dignitaires
maçonniques
italiens,
liens
qu'il
va
pouvoir
amplifier
:
devenu
grand
chancelier
d'honneur
du
Grand
Orient
d'Italie,
il
va
organiser
une
correspondance
régulière
entre
les
obédiences
française
et
italienne,
et
se
fait
décerner
par
le
Conseil
suprême
de
la
franc-maçonnerie
italienne,
l'autorisation
d'inspecter
les
loges
de
la
péninsule,
comme
il
le
fait
pour
la
France.
Il
souhaite,
par
cette
action
parallèle
et
discrète,
élaborer
des
réseaux
tels
qu'ils
deviennent
les
colonnes
supportant
un
édifice
européen
pacifié
car
partageant
les
mêmes
valeurs.
Les
tenues
sont
encore
le
lieu
de
relations
ouvertes
avec
des
militaires,
ce
qu'il
n'aurait
pu
obtenir
facilement
sans
encourir
une
enquête
jalouse
de
Napoléon.
S'il
commence
par
établir
des
relations
directes
entre
les
maçons
italiens
et
français,
et
poursuivra
cette
action
en
Allemagne
et
en
Hollande,
le
prétexte
maçonnique
lui
permet
aussi
de
recevoir
à
sa
table
le
grand
juge
d'Angleterre,
et
de
discuter
avec
lui
des
systèmes
judiciaires
comparés
des
deux
pays.
Il
est
certain
que
Napoléon
connaît
ces
démarches
dans
leur
principe
si
ce
n'est
dans
leur
détail.
Cependant,
son
éloignement
de
la
capitale
à
partir
des
années
1806,
alors
que
ces
activités
ne
sont
jamais
mentionnées
officiellement
par
Cambacérès,
ne
lui
a
probablement
pas
permis
d'en
saisir
la
portée.
Ainsi,
au
moment
où
la
réponse
impériale
à
la
catastrophe
de
Trafalgar
est
l'instauration
d'un
système
de
fermeture
(le
Blocus
continental),
Cambacérès,
en
patronnant
une
franc-maçonnerie
unifiée,
puissante,
expansionniste
et
sans
frontières,
conforte
un
système
d'ouverture.
C'est
avec
un
de
ses
frères
maçons
très
chers,
Portalis,
dont
la
santé
le
préoccupe,
qu'il
examine
en
ce
début
de
1806
les
problèmes
que
posent
les
réclamations
contre
les
Juifs
et
leurs
pratiques.
Après
la
signature
du
Concordat,
la
question,
compte
tenu
de
ses
implications
sociales
et
plus
seulement
religieuses,
avait
été
reportée.
En
cet
hiver,
la
presse
s'agite.
Il
parviendra
à
sauvegarder
les
acquis
de
la
Convention
en
faveur
des
Juifs
et
à
leur
donner
des
circonstances
atténuantes
en
ce
qui
concerne
le
«
péché
d’usure
».
Ils
s’en
souviendront
et
continueront
désormais
de
faire
appel
à
l’archichancelier
dans
tous
les
cas
où
ils
se
retrouveront
face
à
l’Etat.
En
octobre
et
novembre
1807,
l’archichancelier
entreprend
de
voyager
dans
diverses
régions
de
la
France.
A
cette
occasion,
il
rencontre
de
nombreux
frères
et
participe
à
divers
travaux
maçonniques.
Ainsi,
en
Normandie,
il
félicite
le
préfet
La
Magdeleine
pour
son
action
au
service
de
l’Etat
et
pour
ses
initiatives
maçonniques
favorisant
les
relations
avec
les
royalistes
de
son
département,
ainsi
que
j’ai
déjà
eu
l’occasion
de
le
souligner
;
à
Orléans,
il
visite
les
loges
Jeanne
d’Arc
et
la
Parfaite
Union.
A
chacune
des
étapes
de
son
voyage,
une
tenue
de
loge
suivie
d’un
banquet
est
prévue,
lui
permettant
ainsi
d’exercer
sa
surveillance
et
de
s’enquérir
de
l’opinion
de
façon
large
et
réaliste,
le
recrutement
maçonnique
étant
très
divers.
Il
visite
la
Concorde
à
Vienne
et
salue
en
Avignon
de
vieux
amis
maçons.
A
Montpellier,
il
assiste,
avec
le
préfet
et
les
autorités
judiciaires,
à
une
tenue
commune
de
la
Parfaite
Union,
des
Amis
Réunis
et
de
l’Ancienne
et
la
Réunion
des
Elus.
A
Toulouse,
il
participe
aux
travaux
de
l’Encyclopédique
et,
au
banquet
qui
suit,
le
F
:.
Picot
de
la
Peyrouse
lui
offre
une
médaille
antique
de
Justinien.
A
Bordeaux,
le
25
novembre,
une
fête
maçonnique
est
organisée
pendant
laquelle
on
procède
aux
travaux
«
avec
un
recueillement,
une
précision
et
une
régularité
remarquables
».
En
tout
cela,
l’idée
de
Cambacérès
est
toujours
la
même
:
au
lieu
de
supprimer
–
la
religion,
la
franc-maçonnerie,
la
noblesse
-,
il
faut
intégrer
et
contrôler.
Son
rôle
prééminent
dans
la
franc-maçonnerie
rassemble
maintenant
autour
de
lui
ce
réseau
transversal
dont
j’ai
déjà
parlé.
En
1810,
après
beaucoup
de
difficultés,
ne
réussissant
pas
à
faire
respecter
des
accords
entre
obédiences,
il
fédère
finement
autour
de
sa
personne
les
divers
rites
qui
existent,
puis
il
réalise
l'union
avec
le
Grand
Orient
:
«
La
réunion
de
tous
les
rites
au
Grand
Orient
de
France
est
trop
essentielle
à
la
dignité
et
aux
intérêts
de
l'Ordre
entier
pour
n'avoir
pas
été
constamment
l'objet
des
vœux
de
tout
maçon
fidèle.
Le
sérénissime
grand
maître
la
veut,
il
l'a
préparée,
il
l'a
en
quelque
sorte
réalisée
du
moment
où
la
grande
maîtrise
de
tous
les
rites
a
été
réunie
dans
sa
personne.
Les
passions
et
les
rivalités
doivent
se
taire,
et
pour
mettre
le
sceau
à
cette
oeuvre
de
fraternité,
il
suffit
de
poser
quelques
principes.
L'indépendance
réciproque
de
tous
les
rites,
la
conservation
de
tous
les
droits
sont
faciles
à
préserver
dans
la
conservation
des
ateliers
suprêmes
de
chaque
rite
avec
le
gouvernement
représentatif
des
loges.
»
Suivent
les
modalités
de
travail
pour
monter
cet
accord.
Le
préambule
se
termine
par
cette
phrase
bien
dans
la
ligne
diplomatique
de
Cambacérès,
lorsqu'il
sait
que
les
amours-propres
peuvent
être
froissés
:
«
Ce
travail
sanctionné
par
le
G.O.
opérera
la
réunion
sans
traité,
sans
éclat,
et
par
la
seule
rénovation
des
règlements
remis
en
harmonie
avec
ces
bases
constitutives,
et
signées
par
tous
les
membres
des
autorités
réunies.
»
Cambacérès
est
attentif
à
nommer
lui-même
les
officiers
-
les
documents
sont
nombreux
à
ce
sujet
-,
et
à
participer
en
personne
aux
festivités
de
toutes
les
obédiences,
couvert
de
décorations
maçonniques,
se
faisant
assister
d'un
certain
nombre
d'autres
dignitaires,
d'Aigrefeuille
bien
sûr,
mais
aussi
Muraire,
les
maréchaux
Kellermann
ou
Sérurier,
Lacépède
ou
Chaptal,
suivant
toujours
sa
volonté
de
concorde.
C’est
qu’il
ne
présidait
pas
un
banquet
maçonnique
avec
moins
de
sérieux
qu’il
n’en
apportait
à
la
présidence
du
Conseil
d’Etat,
ce
qui,
paraît-t-il,
faisait
bien
rire
l’Empereur
à
qui
on
rapportait
la
chose,
nous
raconte
Constant,
le
valet
de
chambre
de
Napoléon.
La
réunion
est
effectivement
opérée
sur
cette
base
libérale
qui
est
proposée,
avec
un
gouvernement
représentatif,
érigeant
une
sorte
de
confédération
qui
respecte
l'originalité
des
fondements.
Que
cherche-t-il
alors
?
Un
rôle
plus
significatif
de
la
maçonnerie
nationale,
ainsi
renforcée,
capable
d'une
représentation
à
l'étranger,
tant
dans
les
pays
conquis
qu'aux
Etats-Unis,
en
Russie,
voire
dans
les
pays
en
guerre
comme
l'Angleterre.
Ainsi
c'est
sous
l'égide
du
grand
maître
Cambacérès
que
sont
initiés
à
Paris
le
grand-duc
de
Wurtemberg,
oncle
de
l'empereur
de
Russie,
le
prince
héréditaire
de
Hohenlohe,
le
frère
cadet
du
duc
de
Saxe-Weimar,
lui-même
très
lié
à
de
Grasse-Tilly
et
bien
sûr
à
Goethe.
Quant
à
la
réception
du
prince
Askeri
Khan,
ambassadeur
de
Perse,
elle
donne
lieu
à
des
échanges
et
à
la
demande
de
création
d'un
atelier
à
Ispahan.
La
franc-maçonnerie
représente
donc
pour
l'archichancelier
de
l'Empire
un
vecteur
de
spiritualité
et
de
culture,
soutien
d'une
monarchie
européenne,
capable
de
véhiculer
des
éléments
de
civilisation
commune,
celle
des
Lumières,
vers
des
peuples
divers.
Le
symbole
de
l'accord
en
France
en
1810
des
divers
rites
se
veut
représentatif
de
ce
qu'il
souhaite
en
Europe.
On
ne
peut
pas
ne
pas
souligner
que
cette
volonté
fédérative
renforçant
la
franc-maçonnerie
vient
au
moment
où
se
disloque
le
Concordat
avec
Rome.
En
1812,
Cambacérès
a
peur.
Il
sait
la
fragilité
de
l’Empire.
Napoléon
va
partir
pour
la
Russie
et
lui
laisser
la
direction
du
pays
sans
argent,
sans
soldats
et
entouré
de
ministres
techniciens
qui
n’ont
pas
d’expérience
politique.
L’inquiétude
et
le
mécontentement
transpirent
partout
et
même
la
franc-maçonnerie
en
fait
remonter
les
bruits
jusqu’à
lui.
Le
27
avril,
il
doit
désigner
une
commission
pour
enquêter
sur
des
activités
antigouvernementales
découvertes
au
sein
du
chapitre
du
Père
de
Famille
à
Angers
et
il
écrit
à
Roëttiers
de
Montaleau
pour
un
problème
analogue
à
Paris.
Ce
qui
n’empêchera
pas
les
loges,
sollicitées
par
leur
grand-maître
dans
un
discours
rassembleur
prononcé
à
la
Saint-Jean
d’hiver,
d’apporter,
à
la
fin
de
l’année,
après
le
désastre
russe,
leur
contribution
ni
d’équiper
des
cavaliers
pour
renforcer
la
Grande
Armée.
Dans
ce
discours,
il
proclamait
:
«
Si
l’Etat
était
en
danger,
j’appellerais
autour
de
ma
personne
tous
les
Enfants
de
la
Veuve,
et
avec
ce
bataillon
sacré,
je
prouverais
au
monde
entier
que
l’Empereur
n’a
pas
de
plus
fidèles
sujets
que
les
maçons
français.
»
Le
14
avril
1813,
dans
son
hôtel,
Cambacérès
préside
une
tenue
particulière
de
sa
loge
de
la
Grande
Maîtrise.
Outre
les
habituels
d'Aigrefeuille,
Villevieille
et
Monvel,
le
grand
maître
des
cérémonies,
Ségur,
les
sénateurs
Clément
de
Ris
et
le
général
de
Valence,
il
accueille
ce
jour-là
Caulaincourt,
duc
de
Vicence,
comme
apprenti,
puis
avec
dispense
de
délai,
«
attendu
son
départ
prochain
pour
la
Grande
Armée
»,
comme
compagnon.
A
quoi
correspond
cette
entrée
de
Caulaincourt
dans
la
maçonnerie
à
cette
date
précise
?
Est-ce
une
décision
personnelle
et
sincère
de
cet
homme
qui
a
perdu
un
frère
aimé
en
Russie,
et
a
servi
de
confident
à
l'Empereur
dans
cette
course
effrénée
qui
l'a
ramené
des
bords
de
la
Bérézina
?
Ne
serait-ce
pas
plutôt
l'accession
à
une
confrérie
dont
des
membres
en
Prusse,
en
Autriche,
en
Russie,
en
Angleterre
même,
hommes
de
pouvoir,
lui
seront
ainsi
plus
accessibles
?
Mais
les
événements
politiques
et
militaires
se
précipitent.
Dès
la
fin
de
cette
année,
l’ennemi
est
aux
portes
de
la
France.
Pourtant,
à
la
Saint-Jean
d’hiver
de
1813,
sachant
qu’il
ne
serait
plus
suivi
par
ses
frères,
il
ne
dit
rien.
Il
est
persuadé
que
la
monarchie
impériale
ne
peut
se
maintenir
en
l’état
;
toute
l’Europe
veut
l’effacement
de
Napoléon
et
la
France,
un
retour
à
la
paix
et
à
un
régime
constitutionnel.
Il
ne
dit
rien,
car
il
ne
veut
plus
parler
en
faveur
d’un
régime
qui
renie
ses
valeurs,
d’un
régime
dont
lui-même
ne
veut
plus.
L’Empire
s’écroule.
Les
Bourbon,
et
avec
eux
un
semblant
d’Ancien
Régime,
sont
rétablis
sur
le
trône.
Cambacérès,
en
but
aux
outrances
malveillantes
et
calomniatrices
de
ceux-là
même
qui,
naguère,
étaient
à
ses
pieds
en
solliciteurs,
se
retire
en
son
hôtel.
Tout
avenir
politique
lui
est
interdit.
En
juin
1814,
il
fait
savoir
aux
diverses
obédiences
maçonniques
qu’il
démissionne
de
toutes
ses
charges
et
dignités
«
pour
des
raisons
de
santé
et
de
voyage
»
et
souhaite
ne
plus
être
qu’un
simple
frère.
Le
1er
juillet,
une
députation
du
Grand
Orient
essaiera,
mais
en
vain,
de
le
faire
revenir
sur
sa
décision.
Après
l’épisode
des
Cent-Jours,
la
situation
du
frère
Cambacérès
est
de
plus
en
plus
délicate.
Une
nouvelle
terreur
s’installe
:
la
Terreur
Blanche.
Les
Ultras
veulent
sa
tête.
Bientôt,
le
gouvernement
royal
ne
peut
plus
assurer
sa
sécurité
et,
quelques
jours
avant
la
parution
des
ordonnances
de
proscription,
prévenu
par
son
frère
le
duc
Decaze,
ministre
de
la
police
de
Louis
XVIII
et
futur
Souverain
Grand
Commandeur
du
Suprême
Conseil
de
France,
Cambacérès
sollicite
des
autorités
un
passeport
pour
le
Royaume
des
Pays-Bas,
où
il
compte
s’établir
pour
quelques
temps.
Le
6
février
1816,
il
arrive
à
Bruxelles
où
une
foule
de
proscrits,
parmi
lesquels
un
grand
nombre
de
frères,
lui
fera
visite.
Là
il
fréquentera
occasionnellement
l’une
ou
l’autre
loge
bruxelloise.
Il
figurera
parmi
les
frères
que
Rouyer,
un
des
fondateurs
du
Suprême
Conseil
de
Belgique,
sollicitera
pour
fonder
un
nouvel
atelier
à
Bruxelles
;
il
y
refusera
tout
titre,
mais
participera
aux
tenues.
Le 28 mai 1818, le roi Louis XVIII lui confirme son titre de duc et, le 24 juin,
sa dignité de grand-croix de la Légion d’Honneur. Le Roi, ainsi, fait amende
honorable et l’invite à rentrer en France. Decazes n’y est pas
étranger.Pourtant, Cambacérès ne regagnera Paris que le 4 décembre. C’est là
que, le 8 mars 1824, il passera à l’Orient Eternel. Neuf ans plus tôt, alors
qu’il était rentré dans la vie privée, il avait écrit ces quelques vers :
« Heureux, trois fois heureux, l’ami de la nature, Qui, loin du trône et
des palais, De la félicité connaît la source pure, Et s’y désaltère à
longs traits !... Du vulgaire jaloux méprisant l’insolence, De l’orgueil
ennemi bravant les coups secrets, S’il détourna la violence, Protégea la
vertu, condamna les forfaits, Sans remords, il jouit de sa douce
existence, Et trouve dans sa conscience, Avec le souvenir des heureux
qu’il a faits, L’estime de soi-même et l’éternelle paix. »

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