La Grande Guerre d’Oswald Vananove

de Jacques Declercq

- Fleurus -

La Grande Guerre d’Oswald Vananove.

Né à Grandmetz (canton de Leuze, province du Hainaut) le 3 octobre 1887, Oswald VANANOVE, fils de Francois et d’Odile CONNART, soldat milicien de 1907, est incorporé dans le 3ème chasseurs à pied avec la levée de 1907.

Le 19/09/1912, il épouse à Grandmetz Angèle-Marie FONTAINE, fille de César-Emile et de Florine Auverlot.

Le 1 août 1914, il rejoint le 6ème chasseurs à pied, 2ème bataillon, 2ème compagnie à Contich.

Le 4 septembre 1914, à Breendonck, il est blessé de quatre balles, deux dans la tête, une lui cassant le bras gauche et une pénétrant sous l’omoplate droite. Il est transféré le 13 octobre à Margate (Angleterre), où il est opéré le 25.

 

Après une convalescence à Londres où, le 30 janvier 1915 il est déclaré inapte au service, il part pour Folkestone d’où il est ramené en France.

 

Etant à Londres, il était entré en contact avec son sergent, Alfred Van Tittelboom  hospitalisé lui aussi dans cette ville et qui, le 31 mars 1915 lui écrivait la lettre suivante : (forme et orthographe respectés) :

« J’ai bien reçu ta lettre et j’étais très content d’apprendre quelques de vos nouvelles. Pardonnez-moi, samedi passé j’avais dit à notre ami Coulier à Finsburg Square de vous envoyer une lettre mais je l’avais oublié ; j’ai tant de lettres à écrire ici qu’à la fin j’oublie où je dois répondre. Comme vous avez appris peut-être, je suis réformé depuis le 16 février passé ; pour le moment je me porte bien ; je suis encore un peu faible mais çà n’est qu’une question de temps. Comme vous savez, j’ai 3 coups de bayonnette 3 dans la tête et 2 dans le dos qui sont sortis par la poitrine donc à travers le corps, en tout j’ai 8 blessures qui sont heureusement tous bien fermées maintenant. Comme j’apprends dans votre lettre que vous vous avez été aussi gravement blessé, je le crois bien que vous avez été plusieurs fois près de la mort aussi ; mais ayez courage comme nous avons eu à Breendonck, ceux qui sont morts, c’est encore plus malheureux Vous me demandez si je me rappelle encore que j’étais à côté de vous à l’ambulance de Ruysbroeck ; non cher Ami, de çà je ne me rappelle plus rien, je sais que j’ai passé une nuit à cette ambulance et que le sergt Carlier et le 1er sergt Secke sont venus me voir. Aussi je me rappelle que votre femme était venu vous voir dans la ferme où on était en petit poste et qu’elle parlait avec vous juste au moment que nous avons été attaqués, aussi j’avais vu que vous aviez une balle dans la tête quand je battais avec vous autres en retraite. Maintenant, c’est n’est pas moi seule qui peut être fière, si bien vous autres qui étaient avec moi en petit poste avez fait votre devoir jusqu’à la dernière minute afin en un mot nous avons fait notre devoir comme on doit le faire, ce n’est pas comme [ici, un nom rendu illisible par une surcharge d’encre] çà c’était un homme de guerre en temps de paix, vous me comprenez bien ? Quand je lisais comment il vous a traité quand vous étiez dans le fossé. Eh ! bien c’est vraiment scandaleux. Maintenant quand j’étais à l’hôpital franco-belge à Anvers, la Reine est venue me voir et m’a parlé environs une dixaine des minutes, je devais expliquer mon cas, et les trois généraux qui étaient avec elle on pris mon nom, et d’apprès les docteurs c’était pour une décoration d’honneur, mais si çà est vrai après la guerre je ne vous oublierai pas non plus vous 6 frères d’armes qui avez fait tout votre possible et qui avez versé votre sang jusqu’à la dernière minute pour notre patrie (vous comprenez, vous 6 qui étaient en avant poste avec moi).

Maintenant cher Ami, demain jeudi je vais rendre visite à un autre ami à Kings’Albert Hospital, Store Street ; je tacherai d’être à 2 1/2 heures à Finsburg Square pour vous voir c’est tout de même sur mon chemin pour ainsi dire pour Store Street. En tout les cas, je vous donne ici mon adresse de chez moi à Alost en espérant aussi de vous revoir en Belgique après la guerre.

Envoyez-moi de temps en temps quelques de vos nouvelles si je ne vous vois pas demain jeudi.

De Tacquet, Roelandt, Wauquier etc… je ne sais pas vous donner de nouvelles, tout ce que je sais c’est que l’adjudant Cooren est prisonnier ; Boute, sergt major tué ; Wallays, caporal, tué ; Roels, caporal, tué ; le commandant Depuis a été blessé au genou ainsi que le lieut. Lechantre. On m’a écrit que beaucoup d’hommes de notre compagnie ont été fait prisonnier. A demain. »

Oswald Vananove raconte lui-même son aventure dans une lettre qu’il adresse de Folkestone au Ministre de la Guerre le 22 avril 1916 :

« Appelé à mon régiment le 1er août 1914, j’ai fait tous les combats où ma compagnie fut engagée avec le plus grand courage pour défendre mon Roi et le sol de ma Patrie. Etant en petit-poste n° 2 commandé par le sergent Van Tittelboom le long de la route qui conduit au village de Breendonck, nous fûmes attaqués par les Allemands le matin du 4 septembre ; étant resté le dernier de mon petit poste, je tenais en respect toute une fourmilière d’ennemis qui se trouvaient en face de moi ; à peine étaient-ils à 50 mètres de moi que je reçus une balle me cassant le bras gauche. Me trouvant hors de combat, je résolus de battre en retraite sur ma compagnie qui se trouvait quelque cent mètres en arrière. Pendant ma retraite, des milliers de balles sifflaient autour de moi quand successivement j’en reçus deux dans la tête de tel fait que j’ai perdu un peu de l’oreille et l’ouïe droite complètement ; enfin, avant de tomber sans connaissance, je reçus la quatrième dans l’épaule droite. Après plusieurs heures, quand la bataille fut finie, je fus ramassé vers 6 heures ½ du soir et conduit à l’hôpital militaire d’Anvers, avenue Marie… Là, quelques jours après, un ami vint me dire que notre petit poste paraissait dans La Métropole pour sa bravoure et plus tard nous reçûmes la visite de Sa Majesté la Reine des Belges qui, pendant son entretien qui dura plusieurs minutes, m’encourageant de son mieux, me dit que j’avais bien mérité une récompense, que certes je ne l’aurais pas volée. Mais malheureusement nous dûmes évacuer Anvers pour Ostende puis pour l’Angleterre et probablement que j’aurai été oublié. Quand mes blessures furent refermées, plusieurs mois après, je fus réformé, et maintenant, je suis presque impotent. Pour ma pauvre femme et mes malheureux parents surtout, je serais fier et cela serait pour eux une bien grande consolation si je pouvais obtenir la récompense honorifique que je crois avoir méritée et que beaucoup de mes camarades ont obtenue déjà. »

En France, il est d’abord surveillant dans une distillerie à Montereau ( ?) avant de travailler pour le service armé des poudres. Inscrit ensuite sur les contrôles du 3ème chasseurs à pied (matr. 50.935), il se voit accorder par A. R. du 28 juin 1922, avec effet au 01/10/1922, une pension annuelle et viagère de 900 francs « pour infirmités contractées pendant sa présence sous les armes. Cicatrices étendues de la face avec brides cicatricielles et limitation de l’ouverture de la bouche et gêne à la mastication ».

 

Oswald Vananove  sera chevalier de l’Ordre de la Couronne avec glaives par A. R. du 08/04/1951, chevalier de l’Ordre de Léopold II avec palme avec attribution de la Croix de Guerre avec palme par A. R. du 03/10/1916 (« en témoignage de gratitude du Gouvernement au militaire ci-dessus désigné qui, à la suite des blessures graves reçues en service, retera estropié »), titulaire de la Croix du Feu, de la médaille de la Victoire (A. R. du 15/07/1921), de la médaille commémorative 14-18et de la Médaille du règne de Léopold II. Titulaire de deux chevrons de front et deux chevrons de blessure.

Rentré à Grandmetz après la guerre, il sera « censier » de la ferme du château du baron du Sart de Bouland jusqu’à ce que la mort le surprenne brutalement près de ses bêtes, en plein travail, le 06/09/1954.

Fondateur et président de la section de Grandmetz de l’association de Anciens Combattants, délégué à l’O. N. A. C. et membre de la Fédération nationale des Militaires mutilés et invalides de guerre, il avait reçu la croix de la Fédération Nationale des Combattants.

 

Sa veuve, Angèle-Marie Fontaine, mourra à Grandmetz le 14/03/1972.

Oswald Vananove avait créé à Grandmetz une société d’anciens combattants dont il sera président jusqu’à son décès.

Voici l’hommage funèbre qui lui fut rendu face au monument aux morts de son village le jeudi 9 septembre 1954 par un de ses frères d’armes qui allait lui succéder à la tête de l’Association des Anciens Combattants, Henri Parent, qui était le beau-père de son fils Robert :

Mesdames, Messieurs,

J’ai le pénible devoir d’adresser, au nom de l’Administration Communale et de la Société des Anciens Combattants, un tribut d’hommage à la mémoire de Monsieur Oswald Vananove.

C’est sous le coup d’une profonde et poignante émotion que nous apprenions, lundi matin, sa trop brusque disparition. La nouvelle se répandit dans tout le village et ses alentours à la vitesse de l’éclair. La tristesse et le saisissement s’affichèrent sur tous les visages. Nul ne croyait à ce malheur inopiné, à cette mort prématurée… Et cependant, il en était bien ainsi : Oswald, levé de grand-matin pour vaquer à ses occupations habituelles, s’était écroulé dans la plaine, tel un combattant le cœur percé par une rafale de mitrailleuse.

Mon cher Président des Anciens Combattants, permettez-moi d’arrêter cet imposant convoi et d’incliner au-dessus de votre dépouille es drapeaux qui vous escortent, devant ce monument élevé à la mémoire de vos glorieux frères d’armes, Alphonse Lenoir, Emile Albot, Rodolphe Destrebecq, Emile Fontaine, Emile Bertoux et Léon Cambron, que vous avez si souvent honorés.

Qui pourra jamais oublier les minutes de silence que vous demandiez, ici même, en leur mémoire, vos appels aux morts si impressionnants, les discours que vous avez prononcés à l’inauguration de cette stèle et aux différentes fêtes patriotiques, ainsi que vos éloges funèbres des anciens de 14-18 prédécédés : Jean Michez, Ernest Moreau, Octave Lequenne, Maurice Boite ?

Toutes ces difficiles missions, vous les accomplissiez avec un cœur admirable, avec un élan remarquable, parce que vous-même aviez vécu la vie de ces héros, parce que vous aviez supporté les mêmes souffrances, consenti les mêmes sacrifices, parce que l’un d’entre eux était tombé à vos côtés, parce que, enfin, vous étiez un patriote et que vous aviez le sens du devoir.

Né à Grandmetz le 3 octobre 1887, Monsieur Oswald Vananove remplit ses obligations militaires, avec la levée de 1907, au 3ème régiment de chasseurs à pied. Il a vingt-sept ans lorsque la grande guerre mondiale éclate. Marié depuis deux ans et chef d’exploitation agricole, il reçoit l’ordre de rejoindre le 6ème chasseurs à pied. Immédiatement, sans la moindre hésitation, il quitte, pour la plus juste des causes, tout ce qu’il a de plus cher, et s’en va superbement vers les grandes batailles et les chocs suprêmes. Par son caractère jovial, il anime et entraîne les plus déprimés. Il est l’homme du réconfort.Son régiment prend position dans la province de Liège, les premiers contacts se font, la bataille est déclenchée. Oswald ne craint rien : « A la guerre comme à la guerre, dit-il. Halte-là, vous ne passerez pas ! ». Toujours à son poste, il fait déjà preuve de bravoure.

Puis, c’est la retraite de l’armée belge vers Anvers : marches de nuit, marches forcées, creusement de tranchées, nouvelles marches… un véritable calvaire. Mais notre homme est un terrien ; il supporte tout sans sourciller. Il prend goût à la bataille.

Le 3 septembre1914, le voici en arrière-garde aux abords du fort de Breendonck, au poste avancé. La journée sera-t-elle bonne pour notre vaillant concitoyen ? Oui… et non.

Dans la matinée de ce 3 septembre 1914, sa jeune et chère épouse, qui avait appris que son régiment se trouvait dans la région d’Anvers, partie de Grandmetz depuis plusieurs jours, arrive, poussée par une force surnaturelle à Breendonck où elle s’élance au cou de son cher Oswald. Mais à peine le temps de se voir que la sonnerie d’alerte retentit ; la bataille est imminente. Brusque séparation des époux, l’un reprenant son poste de combat, l’autre s’en retournant toute heureuse d’avoir revu l’être tant aimé, mais pleurant d’inquiétude.

Et à juste titre : vers trois heures trente de l’après-midi, les Allemands déclenchent une attaque en règle de nos positions avancées. Oswald est atteint de plusieurs balles à la figure et au bassin. Il ne sait plus se relever, il saigne abondamment et ne peut être soigné vu l’âpreté de la bataille. Heureusement, le sang se coagule. Les soldats allemands, fous furieux, baïonnettes aux canons, envahissent nos lignes et piétinent le corps de notre blessé qui, jouant sa dernière carte, fait le mort. Cette astuce lui réussit car au cours de la nuit suivante, nos vaillantes troupes belges déchaînées refoulent les Allemands et reprennent leurs positions initiales au prix des plus grands sacrifices.

Oswald est ensuite évacué vers l’hôpital. A demi-rétabli, face et bassin recousus, il veut repartir au front… Mais non, les médecins ne le jugent plus capable. Il nous revient à l’armistice, dans l’état où vous l’avez tous connu, bien handicapé et muni d’une réserve inépuisable de douleurs physique et même de souffrances morales.

Cependant il ne se plaint jamais de son sort. Il est toujours souriant, heureux de vivre. Il a un mot agréable pour chacun ; il ne compte que des amis.

Ses hautes qualités de patriote, de philanthrope, d’organisateur et de boute-en-train vont trouver un champ favorable à leur développement. Dès 1919, il fonde la Section locale des Anciens Combattants et se voit contraint d’assumer la lourde charge de président de cette association. Il se dévoue sans compter pour la bonne marche, la prospérité de la Société et le bien-être de ses membres dont il défend énergiquement les intérêts. Assidu à toutes les réunion, il les anime par ses bonnes paroles et par son jugement éclairé. Apôtre de la Patrie, il saisit toutes les occasions pour raviver la flamme du souvenir et exalter les jeunes à suivre l’exemple de leurs aînés. Fondateur de la Société, il en demeure l’âme, la cheville ouvrière et devient l’homme de confiance de tous ses membres.

Les nombreuses distinctions honorifiques qui lui ont été octroyées : chevalier de l’Ordre de la Couronne avec glaives, chevalier de l’Ordre de Léopold II avec palme, Croix de Guerre, Croix du Feu, Médaille Commémorative, Médaille de la Victoire, Médaille d’Or de la Fédération Nationale des Combattants, prouvent toute l’estime qu’avaient à son égard les Pouvoirs supérieurs et sont la légitime récompense de ses grands mérites.

Mon cher Président, votre mort prématurée nous a bouleversés et désarçonnés. Soyez cependant assuré que le fruit de vos efforts ne se perdra pas et qu’il s’en trouvera, parmi nos membres, pour suivre le chemin que vous avez si bien tracé.

L’Administration Communale, elle aussi, perd en votre personne un auxiliaire précieux et estimé. Toujours vous avez répondu à son appel comme elle le fit au vôtre. Votre souvenir ne s’éteindra pas ici non plus.

Puissent nos regrets, l’affluence de toute cette foule, de toutes les sociétés ici représentées, le salut de tous ces étendards accourus vous apporter un dernier hommage, adoucir la peine de votre famille éplorée. Au nom de tous vos frères d’armes, au nom de toute la population, adieu, cher Président, cher Ami. Ou plutôt : Au revoir dans l’éternité.

 

©  J. Declercq & C.V  - Septembre 2004  - Tous droits réservés