Léopold de Saxe-Cobourg et Napoléon

 

Jacques Declercq - Septembre 2006

 

 

   

 

 

     

    Notre premier roi, troisième fils et huitième enfant de François Frédéric Antoine, prince héréditaire de Saxe-Cobourg-Saalfeld et d'Augusta-Caroline-Sophie, comtesse de Reuss, naquit à Cobourg le 16 décembre 1790 ; l'empereur Léopold II fut un de ses parrains.

    Léopold passe sa jeunesse au château de Cobourg où son éducation est confiée à Charles-Théodore Hoflander, pasteur de la Cour et professeur au Collegium Casimirianum. Son oncle, le feld maréchal autrichien Frédéric-Josias, vainqueur de Dumouriez à Neerwinden, se charge quant à lui de son éducation militaire. Grâce au mariage de sa sour Julienne avec le grand duc Constantin de Russie, petit-fils de l'Impératrice Catherine II, il entre très jeune dans l'armée russe et est nommé capitaine commandant au régiment de la garde impériale Ismailowski. La protection du Grand Duc lui vaut un avancement rapide : en 1798, il est nommé colonel et en 1801, affecté au régiment des Gardes à Cheval de la garde impériale en attendant d'être promu au grade de général le 15 mai 1803 à l'âge de 12 ans !

    Parti en 1805 pour l'armée de Moravie avec son frère Ernest, il ne prend part à aucun combat, la bataille d'Austerlitz ayant terminé trop promptement la campagne. En février 1806, il rentre donc à Cobourg pour y reprendre ses études.

    En octobre de la même année, les troupes françaises, engagées contre les Prussiens, prennent leurs cantonnements dans la région de Cobourg. Léopold, avec le duc François et la duchesse Augusta, et sa sour Sophie, comtesse de Mensdorf-Pouilly, se sont retirés dans la citadelle de Saalfeld. Son frère Ernest est au quartier général du roi de Prusse et Ferdinand est au service de l'empereur d'Autriche. Situation délicate donc pour Cobourg qui est cependant sauvegardée par l'intervention du vieux maréchal Frédéric-Josias auprès du maréchal Augereau. Suite au combat de Saalfeld et aux batailles d'Iéna et Auerstadt, les Français, qui s'étaient emparés de la citadelle de Saalfeld, réduisent la population et la famille ducale à une profonde détresse. Le duché est rattaché au cercle de Naumbourg et frappé d'une contribution de près d'un million de francs.

    Le duc François, très malade, négociera l'adhésion du duché à la nouvelle Confédération du Rhin. Il mourra quelques jours avant la signature du traité de Posen (15 décembre 1806). Le nouveau duc, Ernest, frère aîné de Léopold, se trouve alors malade du typhus au quartier général du roi de Prusse à Koenigsberg. Napoléon, apprenant ce séjour dans le camp prussien, met le duché sous séquestre. C'est alors que Léopold rejoint son frère Ernest de l'autre côté du Niémen.

    Après la bataille de Friedlandt, l'article 3 du traité de Tilsit, à l'intervention du tsar Alexandre et du roi de Saxe, remet le duc Ernest en possession du duché. Il rentre solennellement à Cobourg en compagnie de Léopold le 28 juillet 1807.  Le pays est ruiné, dans un état déplorable. Napoléon ayant promis au duc des indemnités, et celles-ci se faisant attendre, il se rend avec Léopold à Paris dans le but d'y rencontrer l'Empereur. En l'absence de celui-ci, ils sont aimablement reçus par l'impératrice Joséphine et deviennent des habitués de La Malmaison.

    Mademoiselle Ducray, dans ses " Mémoires sur l'Impératrice Joséphine ", nous dit que " le prince Léopold était alors fort jeune, beau et d'une timidité excessive. Son caractère était doux. Le voyant tous les jours, je fus à même de juger de la simplicité de ses manières. Il semblait avoir bien plus les qualités d'un bon bourgeois que celles d'un homme appelé à gouverner les autres ". Napoléon les reçoit tous deux à son retour à Paris. Le refus de Léopold à s'attacher à lui comme aide de camp sera sans doute une des causes que l'Empereur restera su des promesses vagues. De retour à Cobourg, Ernest confie à Léopold l'administration du duché pendant qu'il se rend à Saint-Pétersbourg.

    Présent à Erfurt lors de la célèbre entrevue entre Napoléon et Alexandre, Léopold ne peut, pas davantage qu'à Paris, obtenir d'amélioration dans la situation du duché. Napoléon se méfie de cette famille dont les membres servent dans les armées russes et autrichiennes. Il dira au prince Kourakine, qui intervenait en faveur des Cobourg : " Je n'accorderai aucune indemnité au Duc parce que je trouve partout le nom de Cobourg dans les rangs de mes ennemis. " Et il exige que Léopold quitte le service du tsar, ce qu'il fait, à regret, par nécessité politique.

    Quand en 1809 la guerre éclate avec l'Autriche, quatre cents soldats cobourgeois sont contraints à combattre au Tyrol. La paix est signée le 14 octobre 1809, mais avec l'Autriche seulement, et les soldats cobourgeois ne sont pas renvoyés dans leurs foyers ; ils doivent aller combattre en Espagne.

    En 1810, envoyé à nouveau à Paris pour y plaider la cause du duché et de ses soldats, Léopold n'y rencontre pas davantage de succès que précédemment. Napoléon s'obstinait à vouloir qu'il serve dans ses armées, Léopold, fidèle à son attachement au tsar, persistait dans son refus.

    Ayant réglé favorablement des différents territoriaux avec la Bavière, Léopold se rend ensuite en Autriche, sous la pression de Napoléon, pour y solliciter l'acceptation, par l'empereur François, de la démission de son frère Ferdinand du service autrichien, avec conservation de son grade et de son ancienneté.

    Fin 1811, prévoyant déjà la chute de Napoléon, il charge sa sour, duchesse de Wurtemberg, de demander au tsar de lui conserver son grade de façon à reprendre son service à la première occasion. Ce qui est volontiers accepté par Alexandre.

    En 1812, pour éviter d'avoir à répondre à un nouvel appel de Napoléon à servir dans ses armées, Léopold effectue un voyage détudes en Italie, en Autriche et en Bavière.

    Dès l'annonce des désastres français en Russie, les princes de Cobourg montrent les sentiments patriotiques les plus exaltés et tentent de reformer une coalition des princes allemands contre Napoléon.

    En mars 1813, Lépold est à Breslau, près du roi de Prusse qui, le 17, lance son célèbre appel à son peuple. Il part ensuite pour Kalisch, en Pologne, pour y rencontrer Alexandre qui le nomme aussitôt colonel du régiment des cuirassiers de l'Impératrice Marie Féodorovna. Après la bataille de Lutzen, le corps d'armée de Miloradovitch, duquel fait partie le régiment des cuirassiers de la garde, couvre la retraite des Alliés. A Leinbach, Léopold charge à la tête de ses cuirassiers l'infanterie française qu'il oblige à s'arrêter et à se former en carrés.

    Le 4 juin 1813, l'armistice est signé à Pleiswitz. Léopold voudrait voir le tsar et le roi de Prusse à Opochino pour y parler de ses affaires, mais il en est empêché par la maladie. . il part ensuite retrouver son frère Ernest à Carlsbad. Mi-août, faute d'arrengement, le congrès de Prague est dissout et les hostilités reprennent. Le 26 août, Léopold, qui avait été envoyé avec six escadrons de cuirassiers pour soutenir le prince de Wurtemberg face au général Vandamme, se rue en fin de journée sur les Français et les refoule par des charges successives qui déciment ses hommes mais permettent aux Russes de reprendre possession de leur artillerie momentanément perdue. Le comte Osterman Tokstoï, qui avait pris le commandement du 2ème corps russe, en confie toute la cavalerie (hussards de la garde, cuirassiers de l'Impératrice, uhlans tartares, hussards de Lubno et cosaques Islowaisky) au général-major Léopold. Le 28, celui-ci, avec sa cavalerie et une batterie à cheval, forme l'arrière-garde russe dont il assume le commandement. Le lendemain, Vandamme se lance à leur poursuite.

    A Peterswalde, les cuirassiers de l'Impératrice se distinguent en refoulant les troupes françaises qui pressaient le corps russe. Dans l'après-midi de ce 29 août, le prince Léopold se distingue encore dans des charges meurtrières autour de Priesten, permettant à Schwartzenberg, généralissime de l'armée de Bohème, d'arriver dans les plaines de Kulm. Au cours de la matinée du 30, la cavalerie de Léopold s'oppose à la brigade française du général Dunesme. Vers 10 heures, un tumulte se produit sur les arrières de l'armée française. C'est le général von Kleist qui la prend à revers. Vandamme est enfermé et doit, pour se dégager, déblayer la chaussée de Peterswalde. Mais les Français sont bientôt obligés de mettre bas les armes après que les brigades Cobourg et Abele, le régiment d'Argenteau et la division Bianchi se soient emparés de Kulm et de Scande. Les généraux Vandamme et Haxo, avec 7.000 de leurs hommes, sont faits prisonniers.

     

     

    Pour son action pendant ces journées, le prince Léopold recevra la 3ème classe de l'Ordre russe de Saint Georges et la Croix prussienne de Kulm.

    Le 1 septembre 1813, la loge maçonnique de L'Espérance, à Berne, répondant favorablement au désir exprimé par le prince Léopold de Saxe-Cobourg d'être reçu franc-maçon, et considérant qu'à l'armée, il est en un lieu où ne se trouvent pas de loges régulières, autorise le frère de Schifferlin, médecin et conseiller à la Cour de Russie, à procéder à sa réception solennelle dans l'Ordre. La loge bernoise autorisera, le 9 décembre 1813, dans les mêmes conditions, de Schifferlin à initier le prince aux 2ème et 3ème grades de la maçonnerie symbolique. Après de longues marches et contre-marches, les armées belligérantes se retrouvent dans les plaines de Leipzig.A Connewitz, le prince Léopold se distingue une nouvelle fois à la tête de sa cavalerie dans un combat qui précède la bataille des Nations. Après celle-ci, pendant la marche vers le Rhin, il commande la 2ème brigade de la 1ère division des cuirassiers de la garde (régiments de l'Empereur et de l'Impératrice), puis il passe une partie du mois de janvier à Berne qu'il quitte bientôt pour reprendre son commandement.

    La campagne de France est ouverte et déjà plusieurs batailles ont lieu : Brienne, La Rothière, Champaubert, Montmirail, Château-Thierry, Vauxchamps, Arcis-sur-Aube. Les cuisarriers de la garde russe forment réserve et ne combattent pas ; Léopold suit tout cela, ainsi qu'il l'écrira, " un peu en amateur ". A La Fère-Champenoise, cependant, là où les Alliés battront les maréchaux Marmont et Mortier, il s'emparera, avec ses cuirassiers, de trois canons français. A la fois pour la bataille de Kulm et celle de Fère-Champenoise, il recevra de l'empereur d'Autriche la croix de l'Ordre de Marie-Thérèse, et pour sa participation aux campagnes de 1813 1814, la terre et le château d'Holkirchen. De même, le tsar le nommera, le 28 octobre 1814, lieutenant général commandant la 1ère division de lanciers.  Ce seront encore les cuirassiers de Léopold qui escorteront le tsar, le roi de Prusse, le Grand Duc Constantin et le prince de Schwarzenberg lors de leur entrée triomphale à Paris.

    Au cours de son séjour dans cette capitale, le prince Léopold s'occupera, outre du service, des affaires du duché de Cobourg. Se souvenant de l'accueil que l'Impératrice lui avait réservé en 1807, il passe en compagnie de Joséphine et de la Reine Hortense, la journée du 16 avril à La Malmaison. Il y dînera encore le 25 en compagnie du tsar auprès de qui il interviendra en leur faveur. Le 29 mai suivant, l'impératrice Joséphine meurt. Léopold ecrit à sa sour Sophie : " Ma pauvre Joséphine qui, il y a quelques jours, était fraîche et assez heureuse, est morte en un temps incompréhensiblement court par suite d'une inflammation de la gorge ". Le prince Léopold continue par ailleurs de défendre les intérêts de son frère et du duché de Cobourg, mais ses démarches n'obtiennent guère de succès. Les discussions politiques continuaient à aller bon train. Lord Castlereagh ayant annoncé les fiançailles de la princesse héritière de Grande Bretagne Charlotte (qui pourtant n'en voulait pas) avec le prince d'orange, cette disposition fut froidement accueillie par le tsar qui résolut d'opposer au prince d'Orange le prince de Saxe Cobourg.

    Alexandre emmène donc avec lui Léopold à Londres, mais nous sortirions des limites de notre sujet en évoquant ici davantage les évènements londoniens relatifs aux relations de Léopold avec la princesse Charlotte. Début novembre 1814, on retrouve Léopold à Vienne où " le Congrès danse " et où les affaires du duché de Cobourg sont dans une situation fort critique. C'est dans la soirée du 12 mars 1815 qu'arrive à Vienne la nouvelle du débarquement de Napoléon à Golfe Juan. Placé à la tête d'une brigade de cuirassiers, le prince Léopold atteint la frontière française en juillet, après Waterloo. Il obtiendra du tsar l'autorisation de se rendre à Paris où il passera l'automne de 1815.

    Un semblant de nouvel ordre des choses régnait sur l'Europe, en attendant les révolutions prochaines dont l'une apporterait un trône au prince de Saxe-Cobourg.

     Jacques Declercq  - Septembre 2006 -

    Sources.

    Baron Camille Buffin : La jeunesse de Léopold Ier, Roi des Belges.

    F. Clément : Histoire de la Franc-Maçonnerie belge au XIXème siècle.

    Gilbert Kirshen : Léopold avant Léopold Ier. La jeunesse romantique d'un Prince ambitieux.

    Catalogue de l'Exposition Nationale (1965). Léopold Ier et son règne.