Notice biographique d’Emile DEVUYST

de Jacques Declercq

- Fleurus -

Notice biographique d’Emile DEVUYST

 Né à Lessines le 20/07/1893, fils de François et de Marie Louise CROMBIN, Emile DEVUYST épouse à Bruxelles le 02/04/1921, Irma DUTILLIEUX, née à Lessines le 18/07/1897, fille de Jules-Nicolas et de Marie-Joséphine LAMPE.

E. Devuyst à la fin de sa vie.

Bruxelles, le 2 avril 1921.

Irma Dutillieux.

Employé à la société des Carrières Unies de Porphyre à Lessines.

En 1914, Emile DEVUYST est soldat à la 4ème compagnie du 2ème bataillon du 9ème régiment de ligne (Matricule 53838) avec lequel il participe à la bataille du Sart-Tilman près de Liège (6 août 1914) . Prisonnier de guerre à la fin de la bataille du Sart-Tilman ou lors de la retraite sur Louvain, il restera en captivité à Soltau , Hameln et Gross-Hegersdorf jusqu’à la fin du conflit. Titulaire de la Croix de Guerre (A.M. du 10/02/1939), de la Médaille interalliée de la Victoire, de la Médaille Commémorative 1914-1918 (brevet émanant de la Sûreté Militaire Belge signé par le major Mage le 30/09/1919), de la Médaille de Liège, de la Médaille d’Or de l’Ordre de la Couronne (A.R. du 21/07/1953) et des Décorations Industrielles de deuxième et de première classes (A.R. du 21/07/1947) .

Emile DEVUYST décède à Lessines le 24/01/1959 et Irma DUTILLIEUX y décède le 24/04/1986.

La Grande Guerre de Bon-Papa Emile.

La 4/II/9 dans la cour de la caserne du Petit Château à Bruxelles. 1914.

En 1914, le 9ème régiment de ligne est caserné au « Petit-Château » à Bruxelles. Le 1 août le régiment, à la suite de l’ordre de mobilisation, passe sur pied de guerre. Le 3 août, de bonne heure, il s’embarque à la gare de Tour-et-Taxis pour aller prendre ses cantonnements à Montegnée. Le 4 au soir, les ordres parviennent pour la défense. Les troupes se rendent dans le secteur qui leur a été attribué (intervalle des forts Boncelles – Embourg) et y commencent les travaux de défense en dégageant le champ de tir, en creusant des tranchées et en établissant des défenses accessoires. Les travaux se poursuivent une partie de la nuit puis sont repris le 5, tôt au matin. Le terrain est presque complètement boisé, l’outillage très réduit, ne comporte à peu près que l’outillage portatif des unités.

Dans la matinée de ce 5 août, le fort de Boncelles ouvre le feu sur l’avant-garde de la 38ème brigade allemande signalée à Esneux.  Bientôt, il ne reste plus dans la clairière et dans le bois Saint-Jean que des piottes.

« Le Général-Gouverneur a fait parvenir aux commandants du 14ème de forteresse et du 9ème de ligne une proclamation qui se termine par ces mots : « La résistance des troupes de la 3ème division et des troupes de forteresse se fera jusqu’à la dernière limite ». Lecture en est donnée aux hommes qui l’accueillent avec enthousiasme.

Pendant que les piottes attendent le moment d’aller prendre leur place au parapet, des patrouilles explorent les bois.

La marée grise progresse. Dans le courant de l’après-midi, de forts détachements de uhlans harcèlent les avant-postes belges. Un bruit de galopades met les sentinelles en alerte. Des fusillades affolées éclatent aux abords de Beauregard, un hameau coquet ceinturé de prairies et situé entre les bois de Plainevaux et de Famelette. Pour échapper à l'encerclement, la 4ème compagnie du II/9, qui y monte encore une garde vigilante après le repli du poste d’observation de « Les Roches   qu'elle couvrait, doit refluer vers la ferme Famelette. C’est une avenante métairie autour de laquelle se pressent des masses touffues de fourrés. Là, tout proche, s’amorce le long galon jaune et rocailleux, bordé d’ornières, qui descend jusqu'au creux d'un large vallonnement boisé se prolonge en une pente très accentuée jusqu'aux positions belges, puis dévale vers Ougrée. La  redoute 5 l'intercepte complètement de sa double tranchée. Route peu praticable pour les charrois. C'est celle-là cependant que l'ennemi va emprunter.

Le commandant Beaumont qui, à la tête de la 4/II/9. observe la marche de l'ennemi, est constamment sur le qui-vive. Des cavaliers bondissent dans les massifs, approchent puis tournent bride. Ses patrouilles échangent des coups de feu avec les éclaireurs allemands dont les incursions se font de plus en plus audacieuses. Ce sont des tirailleries grinçantes qui affolent les chevaux et énervent les hommes. Des heures passent dans la fièvre de ces accrochages. Ne recevant aucun ordre ou directive du commandement supérieur, n'étant plus en relation avec le fort de Boncelles, depuis le repli du poste d’observation, pressé de toutes parts par la cavalerie ennemie, le chef de la 4/II/9 se décide à rejoindre la garnison de défense, au bois St-Jean. »

A 6 heures du soir, ce 5 août, « la 38ème brigade (allemande) au grand complet, est massée aux abords d’Esneux et s’apprête à gravir les routes escarpées et sinueuses qui, par Hout-si-Plout, Plainevaux et Strivay, donnent accès au plateau de Beauregard, où doit s’opérer la concentration des unités avant la marche au combat. »

Vers 21 h. 30, les Allemands, qui ont fait halte à Beauregard, se remettent en marche pour arriver à Famelette, à 3.000 mètres du bois Saint-Jean tenu par les Belges.

La 4/II/9 est venue en réserve du 1er bataillon du major Doneux, qui commande le secteur des redoutes 4, 5 et 6. Le major a installé son poste de combat à la Cense Rouge.

Les forts de Boncelles, Embourg et Flémalle dirigent leurs feux sur les routes Famelette – bois Saint-Jean, Tilff – Boncelles et Plainevaux – Seraing. Leurs tirs ont un effet désastreux sur l’ennemi, et particulièrement la 43ème brigade allemande dont les hommes s’éparpillent dans les taillis. A 1 heure cependant la bataille fait rage devant les trois redoutes ; les vagues allemandes continuent d’affluer et sont arrêtées par les tirs des soldats belges. Le 1er bataillon tiendra bravement ces trois redoutes jusqu’à la limite de ses forces, mais bientôt, accablé par le nombre, il faut les abandonner à l’ennemi.

Le 1er régiment belge de chasseurs à pied arrive en renfort.

« Il est 2 heures 30. (…). La compagnie Beaumont (4/II/9), qui était postée à 200 m. de la Cence Rouge, s’est rabattue sur la redoute 3. (…). Il y a là, serrés les uns contre les autres, près de 1.500 hommes, chasseurs et lignards mêlés, longue chaîne vivante tendue devant la porte d’entrée de la banlieue liégeoise. Ils sont là, emmurés dans le mystère de cette nuit de cauchemar. La température est fraîche et l’atmosphère tout imprégnée d’humidité. Entre les deux parois détrempées de la tranchée, les corps transis de froid grelottent. L’obscurité se fait moins dense. (…). Attaquées de front et d’enfilade, battues par les bourrasques de l’ouragan, les tranchées belges n’offrent plus à leurs défenseurs qu’un abri dérisoire. Elles sont dépourvues de traverses et rien ne les protège contre les tirs d’écharpe qui taillent des coupes sombres dans les rangs de leurs défenseurs. Des tireurs lâchent leur fusil et, les yeux grands ouverts, tombent en arrière ou s’affaissent sur leur voisin. Dans la redoute 3, le commandant Galendyn (3/II/14 F) vient de s’effondrer tué net d’une balle dans la tête. Le commandant Beaumont et le sous-lieutenant Créteur le remplacent auprès de ses hommes impressionnés par la mort de leur chef. »

Le capitaine-commandant Capitulino BEAUMONT

Le sous-lieutenant René CRETEUR

La Cense Rouge est maintenant aux mains des Allemands. « Pour les Belges, c’est une épée dans le dos. Aux tirs de front et d’enfilade vont s’ajouter les plus déprimants, ceux qui engendrent le désarroi dans les meilleures troupes : les tirs à revers. (…) L’atroce impression : être frappé par derrière ! Dans les redoutes 2 et 3, les fantassins mortellement atteints s’effondrent l’un après l’autre. Vif émoi. Des nappes de balles soulèvent les parapets du front de gorge qui sont en proie à des convulsions. On n’ose plus montrer la tête, on se blottit contre les parois de la tranchée ou on s’accroupit au fond. (…) Quelqu’un a crié d’une voix perçante : Nous sommes cernés ! Et brusquement, les tirailleurs se relèvent et se ruent vers le hameau pour se mettre à l’abri de ces tourbillons de projectiles. Les défenseurs des redoutes 2 et 3 qui ont vu disparaître leurs camarades, sont à leur tour pris de panique. Le feu ennemi est d’une telle intensité que toute notion est abolie dans les cerveaux. On est là, étourdis, aveuglés, pétrifiés par les hurlements de l’ouragan. Une chance d’échapper au massacre, gagner le hameau tout proche. L’inévitable débandade se produit. »

Mais elle ne va pas durer. Elle se heurte à deux compagnies du 2ème bataillon du 1er régiment de chasseurs qui arrêtent les fuyards et les ramènent avec elles dans les redoutes que l’ennemi n’a pas encore occupé. Il est 3 heures 30. Le combat reprend de plus belle.

Et puis, de nouveau, « la poussée allemande se fait de plus en plus menaçante. (…) Quant à la redoute 3, elle est cinglée par des tirs d’enfilade qui déciment ses occupants. Inachevée, elle n’est formée que d’un double boyau peu profond. Les tireurs de taille élevée dépassent le parapet de toute la hauteur du buste et sont forcés de mettre un  genou en terre. Rien pour se préserver en flanc. Mais voici qu’avec des sifflements impétueux, des nuées de balles venues de derrière s’abattent sur les piottes penchés sur le parapet. C’est un brusque effondrement de corps qui s’agitent dans des contorsions de douleur et de panique. »

Il est 4 heures 10. Les tirailleurs alignés entre les redoutes esquissent un mouvement de retraite et tout à coup, toute la masse est entraînée vers le hameau.

« La redoute 3 est encerclée, mais continue à se défendre. Trois compagnies allemandes, munies de mitrailleuses, la serrent de près, traçant un cercle de feu autour de l'ouvrage. C'est un étranglement lent et sûr qui paralyse les mouvements des défenseurs. On se fusille férocement à une trentaine de mètres de distance.

Courbés sur le parapet, chasseurs et lignards s'acharnent à enrayer la progression des masses rampantes d'assaillants. Des tireurs à court de munitions, se penchent sur le cadavre de leurs camarades étendus dans le fond de la redoute, vident les cartouchières, se redressent et reprennent leur mauser.Mais les vagues grises se font de plus en plus pressantes. Dans le champ d’avoine, l’ondoiement des casques à pointe approche de façon inquiétante. On discerne des formes humaines aplaties au pied du réseau de barbelés. On tire, on tire follement, sauvagement.

Le sous-lieutenant Créteur (4/II/9), un jeune officier plein d'allant, s'affaisse, mortellement  blessé. Son commandant qui l'a vu tomber se précipite, s'agenouille près du corps inanimé, puis reprend sa place au parapet où il fait le coup de feu avec ses soldats.

Le commandant Beaumont est un entraîneur d'hommes. De stature élevée, il émerge de la rangée des tireurs de toute la hauteur de son buste. Tandis que, indifférent aux nappes bruissantes de balles qui fendent l'air, il charge et décharge son fusil, un jeune gradé allemand rampe jusqu'à proximité du parapet, ajuste de son browning et, à bout portant lui tire une balle dans la tête. Le chef de la 4/Il/9 s'affale au milieu de ses soldats.

Que se produisit-il ? En l'espace d'un éclair, on vit surgir devant la banquette de tir, des groupes de fantassins gris dont certains, foudroyés, s'écroulent sur les barbelés et y restent accrochés, pliés en deux. La tuerie se prolonge encore un instant, puis toute résistance devint impossible, ce fut l'écrasement. Débordés, submergés, les 80 derniers défenseurs de la redoute 3 sont forcés de mettre bas les armes. »

Pourtant, la bataille ne sera pas perdue. Des renforts arriveront soutenir lignards et chasseurs. Le champ de bataille sera repris, les troupes belges entreront dans la Cense Rouge sur la cour de laquelle Emile Devuyst verra, ainsi qu’il le racontera plus tard, le cadavre du fermier qui avait été tué pendant la fusillade. Ce 6 août 1914, vers 10 heures du matin, les habitants d’Esneux voyaient refluer les premiers débris des deux brigades allemandes vaincues.

 

Mais les troupes des intervalles n’ayant pas pour mission de résister à outrance, elles reçoivent vers 10 heures l’ordre de se replier vers Angleur et de passer sur la rive gauche de la Meuse. Les débris du régiment arrivent en soirée à Hollogne sur Geer puis marchent sur Louvain par Thisnes, Saint-Remy-Geest, Meldert-Opveld et Babelom.

Sart Tilman.

La Cense Rouge.

Cartes envoyées de captivité.

1) Le 11/11/1915, du camp de Soltau, à son père François, donnant simplement son adresse : « Emile Devuyst, 9ème de ligne. Gefangenenlager Soltau Lichtenhorst)»

2) Cachet du 20/07/1916 (Soltau), arrivée à Lessines le 22/07, à son père François :

« Le 2 juillet. Bien chers parents, je viens de recevoir votre lettre du 7 et du 11 juin ainsi qu’un postal de figues du comité qui me fait grand plaisir. Ici on travaille toujours au foin. Je suis toujours très heureux d’apprendre qu’il ne manque de rien et de voir sur chaque lettre la signature de Gro Pa . J’espère que vous avez bien reçu la lettre précédente annonçant que j’avais reçu le paquet du 11 mai et que vous êtes comme moi en bonne santé. Compliments à tous. Emile. »

3) Au dos d’une photo prise par le photographe Paul Noffz de Stadthagen et représentant « L’Harmonie prisonnière de Gros Hegesdorf , fait le 14-7-17» envoyée à son père : son adresse : Kriegsgevangen  Emile Devuyst, 9ème de ligne. Gefangenlager Hameln. N° 53838.

4) Au dos d’une photo le représentant dans une ferme, avec un jeune poulain, adressée à Louise Dubois, rue Masbour à Genève : son adresse à Hameln.

5) Au dos d’une photo faite par le photographe Kelmers à Bad Mennsdorf et envoyée à son père, son adresse à Hameln.

6) Même carte-photo que la précédente, envoyée à Mr Fernand Lelubre, caporal mitrailleur z/316, 8ème compagnie, Armée belge en campagne :

« Le 5 juin 1918. Bien cher Fernand. Bien reçu tes lettres du 2 et 12 avril. Très heureux de te savoir en bonne santé. Reçois plus de nouvelles de Joséphine ni de Lessines. J’espère cependant que tes parents ainsi que les miens se portent très bien. J’ai reçu le 4ème envoi de sœur Joséphine qui m’a fait bien plaisir. Mes remerciements. J’espère qu’elle reçoit toutes mes cartes. Sais-tu qu’Eugénie du Marot et la sœur à mon ami Hilaire sont mariées depuis près d’un an ? Mes amitiés à Joséphine et Armand. Courage. Patience. Ton ami Emile. »

 

En captivité au camp de Soltau. (carte n°1)

En captivité à Hameln. (cartes n° 5 et 6)

Prisonnier dans une ferme, région de Hameln. (carte n° 4)

L’harmonie prisonnière de Gros-Hegerdorf.  Fait le 14-7-17. (carte n° 3).

 

©  J. Declercq & C.V  - Septembre 2004  - Tous droits réservés