Petites notes d'Histoire Locale

Jacques Declercq

Situation économique du Canton de Lessines sous la période française

- Fleurus - 1985 -

 Situation économique du Canton de Lessines sous la période française

Article publié in Bulletin du Cercle d'Histoire de l'Entité Lessinoise,  n° 21, 1985.

 

Quand on évoque la période française de notre histoire, la première image qui se présente à l'esprit est une image de guerre: c'est Austerlitz, c'est Waterloo; c'est aussi toute la légende napoléonienne.

Aussi peut-il être intéressant de tenter une autre approche de cette période et d'essayer de brosser brièvement un tableau sommaire de l'état économique du canton de Lessines à cette époque.

La Révolution avait précipité nos régions dans le chaos et les Belges éprouvaient bien des difficultés à abandonner leurs usages et coutumes séculaires pour adopter les nouvelles lois de la République.

D'autre part, l'état de guerre face aux coalitions extérieures et aux forces contre-révolutionnaires intérieures, l'isolement du régime, le passage incessant des armées, la rigueur de l'hiver 1794 - 1795, et bien d'autres éléments défavorables provoquèrent chômage, chute de la production agricole, augmentation des prix des denrées, augmentation des prix des denrées, misère, fraude et brigandage. Il allait falloir attendre le Consulat pour revenir à une vie normale.

Sous l'Empire, les conquêtes militaires avaient alors ouvert de nouveaux marchés; le Blocus continental imposait au pays de développer son économie selon une stricte autarcie.

Jean-Baptiste Garnier, préfet du département de Jemappes de 1800 à 1805, conscient de l'importance d'un réseau routier en bon état, avait suscité une campagne de pavage intensif, et, en 1804, il signalait la restauration de la route Lessines - Nivelles par Le Roeulx. Pourtant, en 1813, le mauvais état de l'axe Soignies - Lessines coupait les communications entre la Flandre et les charbonnages du Centre qui s'en plaignaient amèrement.

Les carrières de Lessines bénéficièrent évidemment de cette campagne, au point que bientôt elles ne purent plus satisfaire la demande. A l'époque, ces carrières avaient un caractère familial et employaient de vingt à cent ouvriers. Ainsi en était-il des exploitations Tacquenier et Pasque.

En 1812, la production annuelle en "grès de toutes sortes" était de 3.629.500 pièces et on comptait cent rocteurs et deux cents journaliers, parmi lesquels cent cinquante hommes au salaire de 91 centimes, vingt femmes et trente enfants au salaire de 64 centimes.

Les pierres étaient alors exportées vers les département de la Lys, de l'Escaut, des Deux-Nèthes et des Bouches-de-l'Escaut.

Mais l'industrie de la pierre n'était pas la seule du canton. Depuis plusieurs siècles, et avec des succès divers, l'industrie textile s'y était implantée.

Un rapport du maire de Lessines, établi en 1811, signale qu'il était alors rare de trouver une maison où il n'y eut un, deux, trois et même quatre rouets. En chaque endroit, on rencontrait des métiers à faire la toile, le linge de table etc…

En 1812, il y avait à Lessines septante-cinq métiers à tisser, quatre cent vingt-trois rouets, quatre-vingt-quatre tisserands et soixante-sept blanchisseurs de toile.

La production de lin préparé s'élevait alors à 43.200 kilos à Ghoy, autant à Deux-Acren, 21.600 kilos à Lessines, les mêmes quantités à Ollignies et à Wannebecq, 32.406 kilos à Biévènes ainsi qu'à Bois-de-Lessines, 10.800 kilos à Papignies, 18.903 kilos à Oeudeghien et 13.503 kilos à Ghoy.

Malheureusement le Blocus continental allait ralentir fortement les exportations et provoquer une pénurie de graines de l'espèce de Riga, obligeant les travailleurs liniers à se rabattre sur la semence indigène qui produisait des lins de moindre qualité.

Cette dépression économique s'accentuera encore après l'abdication de Napoléon et, en 1817, Lessines ne comptera plus que trente-cinq tisserandes et trente-quatre blanchisseurs.

Il est par contre un domaine où le Blocus continental eut un effet bénéfique, c'est celui de la culture de la pomme de terre, de la betterave sucrière et de la chicorée.

La récolte de pommes de terres passera ainsi de 30.000 sacs en 1806 à 51.000 en 1809 et à 54.510 en 1811.

Un décret impérial du 15 janvier 1812 avait jeté les bases de l'industrie sucrière et en février de cette année, le maire et son adjoint reçurent des licences d'exploitation.

On sait que ce sont les médecins lessinois D'Harvengt et Bruneau qui, vers 1775, avaient recommandé l'usage de la chicorée.

Sous l'Empire, elle remplacera avantageusement le café dont le prix était devenu inabordable. Ainsi, la culture de la chicorée prendra un essor considérable. On peut estimer à 800 le nombre de familles qui en vivent dans le canton, où l'on compte environ quarante fabriques qui exportent vers la France (dont vingt-quatre à Lessines, employant quelque deux cents ouvriers).

A la chute de l'Empire, un coup mortel sera porté à cette industrie à cause du droit de 20 % imposé à l'entrée en France, et le nombre de fabriques tombera de plus d'un tiers.

Signalons enfin qu'en 1811, Lessines comptait également un établissement d'orfèvrerie employant un ouvrier et produisant essentiellement de la vaisselle, et un établissement d'horlogerie.

Dire que le bilan économique de cette période fut positif ou négatif pour notre canton est difficile.

Après une époque de prospérité, la crise de 1811 avait induit une certaine récession, mais la fin du régime français en provoquera une bien plus grave qui ne prendra fin qu'en 1817.

Le blocus continental, s'il avait ruiné une partie de notre économie, avait permis d'éliminer la concurrence anglaise et avait fait par ailleurs la fortune des entreprises de commerce par routes et canaux, tout en contribuant au premier essor industriel.

 

BIBLIOGRAPHIE.

Bulletins de la Société Belge d'Etudes Napoléoniennes.

Cathelin J.: La vie quotidienne en Belgique sous le régime français.

Darquenne R.: Histoire économique du département de Jemappes.

Delhaize J.: La domination française en Belgique.

Guignies V. J.: Histoire de la   ville de Lessines.

Lesneucq-Jouret T.: Histoire de la ville de Lessines

 

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