Petites notes d'Histoire Locale

Jacques Declercq

Nisolles et compagnie

Une histoire de brigands sous l’Empire

- Fleurus - avril 1986 et mai 1995 -

 (article écrit en avril 1986 et publié dans les Annales du Cercle d’Histoire de l’Entité Lessinoise T. II-1987 sous le titre « Le brigandage dans le canton de Lessines. Nisolles et compagnie. » ; complété du dernier paragraphe en mai 1995.)

Le 5 juin 1807, l’exécution, en place de Mons, de huit individus, mettait un terme aux activités de bandits redoutables qui, pendant plusieurs années, avaient commis leurs forfaits dans le département de Jemmape.

Leur histoire a été évoquée à diverses reprises par quelques historiens. Ainsi, il est fait allusion à cette « Bande Noire » par Louis Mélisse  qui cite des renseignements tirés de la monographie de l’abbaye de Cambron du colonel Monnier  ; Guignies lui consacre un paragraphe dans son histoire de Lessines  et Masoin, une page et demie dans sa biographie de Joseph Braconnier  . Enfin, Emile Chevalier a publié‚ un livre entier sur ce sujet en 1905   dans lequel, malheureusement, il passe sous silence le rôle joué par Joseph Braconnier, juge de paix du canton de Lessines, dont les registres de correspondance contiennent pourtant des renseignements précieux sur cette affaire.

Reportons-nous donc au début de la période impériale, alors que la Belgique vient de traverser l’époque troublée de l’invasion française consécutive à la Révolution de 1789. Cette révolution a eu pour conséquence un profond bouleversement des habitudes administratives et judiciaires du pays ; les coutumes féodales de l’Ancien Régime ont dû faire place, bon gré‚ mal gré‚ aux nouvelles lois républicaines.

Ces changements, joints à l’incapacité des juges et des fonctionnaires, ainsi qu’à la misère du peuple, avaient favorisé l’éclosion de ces bandes de « riffaudeurs » et « chauffeurs » tristement célèbres : la fameuse bande de la forêt d’Orgères (vingt-trois condamnations à la peine capitale en 1800), celle de François Salembier qui sévit dans les départements de la Lys, de l’Escaut et du Nord (dix-sept guillotinés à Bruges en 1798)  et, bien sûr, les « chauffeurs » de Monneuse qui terrorisent le nord de la France et le sud-ouest de la Belgique. Mais l’exécution de ce dernier et celle de son complice Gérain à Douai en 1798   n’ont pu mettre fin aux agissements de toute une série de petits malfrats.

Le canton de Lessines convient parfaitement à leurs activités, situé comme il est aux confins des départements de Jemmape, de l’Escaut et de la Dyle, entre Flandre et Wallonie : à Ghoy, les Herbo terrorisent le village ; Papignies est sous la coupe d’un certain Fontaine ; à Oeudeghien, Willocq, dit « Le Pire », pratique la haine de cens, tandis qu’à Biévène, les gendarmes ne peuvent arrêter les frères Massart.  

Dans ce contexte d’insécurité arrive en 1804 à Bois-de-Lessines un homme de 38 ans, trapu, portant cheveux courts et tatoué au poignet d’un crucifix. Jean-Joseph Boulanger, dit « Quette-Marie-Maison », dit « L’Anglais », est un ancien paveur originaire de Blaton. Mais c’est surtout un forçat évadé du bagne de Brest depuis le 4 avril 1804.

En effet, le 16 germinal an VII (6 avril 1799), il avait été condamné, par le tribunal criminel du département de Jemmape, à vingt-deux années de fer après six heures d’exposition sur la place de Mons, du chef de vol qualifié chez un fermier d’Harchies.

A Bois-de-Lessines, il travaille deux mois chez un marchand de chicorée puis va errer vers Valenciennes, Condé‚ Boussu, Pommeroeul, Sirault et Neufmaisons.

C’est là, au hameau des Aulnois, qu’il se met à fréquenter une famille de cultivateurs vivant davantage de rapines que du travail de leurs terres. Il s’agit de Nicolas Strebelle, dit « Seigneur », de Marie-Joseph Duray, sa troisième épouse, native de Roucourt, et de deux fils de Nicolas : François-Joseph et Pierre-Joseph.

Une jeune fille de Pommeroeul, Marie-Thérèse Soudoyer, nièce d’une des deux premières épouses de Strebelle, y fait de fréquentes apparitions et y passe même parfois plusieurs mois. C’est donc tout naturellement qu’à Pommeroeul l’Anglais est accueilli chez le père de celle-ci, François Soudoyer, dit « Pérou », dit « Le Doyen ». Là vivent aussi Catherine Decroly, épouse du Pérou, Marie-Catherine Soudoyer, soeur de Thérèse, et Désiré, son frère, ainsi que plusieurs autres enfants en bas-âge.  

En 1805, on retrouve Boulanger aux Acren. Il semble qu’il y ait trouvé refuge chez Charles Nisolles, « connu aux Acren sous des rapports défavorables »   et que le juge Braconnier décrira comme « le plus célèbre voleur du canton qui donnait asile à tous les brigands ».

Le 4 vendémiaire an XIV (26 septembre 1805), vers dix heures du soir, un incendie détruit la maison de François Scarcez, chez qui Boulanger travaillait, et celle de son voisin, Philippe Leroy. Le juge Braconnier mène l’enquête   et, immédiatement, ses soupçons se portent sur l’Anglais. Ils lui semblent d’autant plus fondés que peu de temps auparavant, celui-ci a eu une violente altercation avec Scarcez.  

D’ailleurs, Boulanger ne se réfugie-t-il pas à Bois-de-Lessines, chez Fidèle Maison, dit « Bernissart », d’où il peut échapper à un mandat d’amener grâce à la complicité‚ de Rose Bernissart qui le prévient des poursuites lancées contre lui.  

Dans les mois qui suivent, de nombreux vols sont constatés dans les environs : le 24 novembre chez Vandemergel à Ollignies ; la nuit du 26 au 27 décembre chez la veuve Pierre Flament à Ghoy ; la nuit du 1 au 2 janvier 1806, chez Jean-Baptiste Vennany ( ?) et chez P.J. Vanhongerval à Sarlardinge ; la nuit du 5 au 6 chez Philippe Cauchie, à l’Auberge du Point du Jour à Sirault ; à Ollignies encore, chez Joseph Monnier et chez les héritiers Vandermoghel dans la nuit du 15 au 16 ; dans celle du 23 au 24 à Papignies chez P. Chanoine, tailleur, chez F. Cordier, cultivateur et chez le cabaretier J.B. Bonnier ; à Everbecq, chez A. Deportemont dans la nuit du 24 au 25 janvier et dans celle du 2 au 3 février chez J.B. Vandermotten.  

Voilà donc encore notre juge de paix sur les dents. Il apprend que Nisolles s’est rendu à Ath pour y rencontrer des fripiers à la réputation de receleurs.

Aussitôt, une patrouille s’organise aux Acren sous la direction du maire-adjoint de ce village. Le 6 février 1806 au soir, la patrouille encercle la maison de Nisolles, « repaire de brigands qui désolent depuis quelques mois les confins de trois départements ».  

A dix heures du soir, le maire-adjoint y arrête les deux fripiers Guillaume et Emmanuel Tumelaire ainsi qu’Amélie Nisolles, fileuse, soeur du Grand Charles. Les deux Tumelaire étaient arrivés chez Nisolles, écrira Braconnier, « à la faveur de la nuit pour ne pas inquiéter les habitants qui ont toujours l’oeil ouvert sur cette maison, et pour mieux tromper la surveillance des fonctionnaires de ce village qui ne doit qu’à ses administrateurs le retour à la tranquillité‚ ».  

Nisolles et son complice Boulanger parviennent pourtant à s’échapper.

La maison contient le butin de la plupart des vols signalés plus haut : des quantités considérables d’objets de cuivre, de fer et d’étain, des pièces d’habillement, du linge, des viandes etc... seront bientôt reconnus par leurs légitimes propriétaires venus de Sarlardinge, Papignies, Ollignies, Ghoy, Everbecq et ailleurs.  

« Le mobilier abandonné par Nisolles n’est pas en sûreté dans cette maison dont la position ingrate semble inviter les brigands à aller s’y réfugier ».  Le maire-adjoint des Acren et le juge Braconnier y effectueront trois visites domiciliaires et la mettront sous la surveillance du garde-champêtre Anceau, « homme vigilant et intrépide ». Malgré cette surveillance, Charles Nisolles reviendra avec Boulanger et parviendra à enlever de sa demeure des viandes et autres objets présumés volés, avant de disparaître à nouveau.  (21).

Joseph Braconnier, que « la fuite de ces deux hommes, aussi terribles par leur physique robuste que par leur intrépidité, afflige d’autant plus que le monde en est alarmé », lance le signalement de Nisolles : « âgé de quarante ans environ, cheveux et sourcils bruns, yeux grands et bruns, nez gros, bouche grande, menton rond, front un peu ridé‚ visage coloré‚ »  

Cela n’empêche pas Nisolles de parader dans la ville de Grammont et d’y dîner dimanches, jours de fêtes et de marché‚  avant d’aller se réfugier avec l’Anglais chez un cousin de celui-ci, Jacques Mahieu, dit « Laid Jacques », originaire de Sirault et habitant Gondregnies. Grâce à l’intervention de l’épouse de ce dernier, Maximilienne Paternotre, née à Silly, ils parviennent à obtenir le 12 février, du maire-adjoint de Silly, deux passeports qui leur permettront de passer, sous de faux noms, au nez des autorités..   

Cependant, le canton de Lessines est devenu trop dangereux pour les deux compères qui se décident à mettre sur pied une affaire pouvant leur rapporter gros moyennant peu de risques.

Pourquoi ne pas la tenter contre cet ancien cultivateur, Jean-François Ghisse qui, habitant à Gondregnies une petite ferme à l’écart du corps du village avec son fils Albert et sa bru, Florentine Seutin, semble vivre dans une belle aisance.   D’autant plus que le Laid Jacques qui, l’été, travaille à la tuilerie Pilatte à Lombize, est ouvrier l’hiver chez les Ghisse et peut aisément renseigner l’Anglais sur les habitudes de la maison. .

Très vite, l’opération est mise sur pied ; elle nécessite des complicités : le 13, le grand Nisolles quitte Gondregnies pour se rendre chez les « Seigneurs » à Neufmaisons, tandis que Boulanger contacte les « Pérou » à Pommeroeul.

Du 14 au 20 février, ce ne sont qu’allées et venues discrètes entre Pommeroeul, Neufmaisons et Gondregnies. Le 16, Boulanger, Nisolles, le Seigneur, son épouse et la jeune Catherine Pérou passent joyeusement le dimanche de carnaval dans les cabarets de Neufmaisons.   Enfin, l’affaire est décidée pour le jeudi 20 dans la nuit.

Ce jour là, en fin de journée, huit personnes quittent Neufmaisons et, par des chemins de traverse enneigés, gagnent furtivement Gondregnies. Il y a là Boulanger, François Soudoyer, sa fille Thérèse, travestie en homme, et son fils Désiré, Nicolas Strébelle, ses fils François et Pierre, et le grand Nisolles.

A Gondregnies, ils sont rejoints par Jacques Mahieu, qui a travaillé chez Ghisse jusqu’à huit heures et demie du soir.

Arrivé à la ferme, Boulanger pratique dans le mur, à hauteur de la clé, un trou au moyen d’un tisonnier qu’il a amené de Neufmaisons. Péntrer dans la bâtisse n’est plus alors qu’un jeu d’enfant. Pendant que Mahieu et Nisolles font le guet à l’extérieur, les autres terrassent le père Ghisse ; son fils, accouru au bruit, sabre au poing, après avoir blessé le Seigneur et l’Anglais, est désarmé et, frappé de plusieurs coups, laissé étendu à terre, baignant dans son sang.  On racontera que la belle Thérèse mangera, assise sur son corps, des mastelles trouvées dans un coffret..  

Florentine Seutin, se rendant compte du drame, se réfugie dans le grenier où elle ne sera pas inquiétée et d’où elle ira, les bandits partis, chercher du secours dans le voisinage.

Rapidement, les voleurs s’emparent d’un important butin : une somme de deux cents livres, de grandes pièces de toile, du lin filé, divers vêtements et pièces de linge, voilà ce que, avant la fin de la nuit, toute la bande, (hormis le Laid Jacques qui, le matin, à son habitude, se rendra à la ferme pour faire son travail journalier), ramènera dans des sacs jusqu’à Neufmaisons, chez Strebelle, sans avoir été inquiétée. C’est là que ce vendredi, on fera l’inventaire et le partage.  

Celui-ci ne va pas s’opérer sans difficultés ; ainsi, une querelle opposera Nicolas Strebelle à François Soudoyer au sujet d’un sarrau et Nisolles ne recevra que trois couronnes et demies pour sa part; se plaignant de la modicité de son lot, il est aussitôt menacé d’être battu s’il continue à récriminer.

Faut-il voir, dans la rancune qu’il conservera, son attitude après son arrestation ? Quoi qu’il en soit, il semble que ce soit la dernière affaire à laquelle il participera, puisqu’il va s’engager chez Thomas Genard, cultivateur à Douvrain.

La nuit du 6 au 7 mars, deux calices, un ciboire, une trentaine de coeurs, de croix et de bagues en or et en argent sont volés à la chapelle de Bon-Secours.  Près de la fenêtre brisée, on trouve des traces de sang. Quelques jours après, des témoins constateront, sans encore faire de relation entre les faits, que l’Anglais est blessé à une main.  

On se souvient qu’en janvier, un vol avait été commis chez Ph. Cauchie, à l’auberge du Point-du-Jour à Sirault. Accusé par Cauchie et la rumeur publique, Boulanger envisageait depuis lors de se venger. La nuit du 15 au 16 mars, l’Anglais et ses hommes, pénétrant dans la maison du Point-du-Jour, y dérobent, sans en réveiller les habitants, du fil, de la toile, des bottes de lin et du tabac.

Le 17, les gendarmes repèrent Boulanger autour de la maison des Pérou, mais le laissent filer.

En vue d’écouler son dernier butin, l’Anglais se rend avec Thérèse à Bon-Secours, où il passe marché avec Jean-Baptiste Lejeune, cabaretier, qui, soupçonnant que la marchandise provient du vol du Point-du-Jour dont il a entendu parler, prétexte un manque de fonds pour le faire revenir le dimanche suivant.

Lejeune fait prévenir Cauchie, qui reconnaît son bien, puis les autorités.

Aussi, lorsque le dimanche 23 mars, l’Anglais revient chez Lejeune, il se trouve nez-à-nez avec le gendarme qui l’avait repéré chez les Pérou. Appréhendé malgré ses dénégations, il est transféré à Mons et interrogé par le procureur impérial Rosier.  

Dès lors, les choses vont se précipiter.

Dans le même temps, le grand Nisolles est aussi arrêté. Le juge de paix Braconnier l’interroge et il lui fait « des réponses fermes et naIves ». D’emblée, il dénonce ses complices.  

Le 28 mars, François et Désiré Soudoyer sont arrêtés. Le 5 avril, c’est le tour du reste de la famille Pérou : Catherine Decroly, Catherine et Thérèse Soudoyer. Le 1 mai, ils sont rejoints par Maximilienne Paternotre, épouse de Jacques Mahieu qui, lui, était déjà sous les verrous. Enfin, Marie-Joseph Duray, épouse Strebelle, est appréhendée le 4 juillet, et Nicolas Strebelle, le 12 juillet dans un cabaret de Ghlin.

L’instruction, dès lors, est menée rondement et porte essentiellement sur l’affaire de Gondregnies qui, aux yeux du procureur impérial Rosier, suffit à atteindre les détenus qui sont mis, dès le 30 septembre, en accusation par le jury spécial d’accusation.

Le 7 octobre 1806 et le 29 janvier 1807, Charles Nisolles confirme et complète ses aveux sur le crime de Gondregnies d’abord, sur tous les autres vols et méfaits commis par l’Anglais et sa bande ensuite.

C’est ainsi que le 6 avril 1807, treize accusés comparaissent devant la Cour de Justice criminelle du département de Jemmape à Mons  présidée par M. Foncez assisté des juges assesseurs Fonson et Willems, le procureur impérial Rosier occupant le siège du Ministère public.

Il y a là : Jean-Joseph Boulanger, forçat évadé du bagne de Brest, âgé de quarante ans, né à Blaton et sans asile ; Charles Nisolles, journalier, âgé de 34 ans, né et domicilié à Acren-Saint-Martin ; François Soudoyer, journalier, né à Sirault et domicilié à Pommeroeul ; Catherine Decroly, sa femme, ménagère âgée de 49 ans ; leurs enfants Marie-Thérèse Soudoyer, âgée de 20 ans, Marie-Catherine Soudoyer, fileuse, âgée de 22 ans, et Désiré-Joseph Soudoyer, âgé de 19 ans ; Nicolas Strebelle, journalier, âgé de 46 ans, né et demeurant à Neufmaisons ; sa femme Marie-Joseph Duray, 33 ans, ménagère, née à Roucourt ; deux fils de Nicolas : François-Joseph, 21 ans, et Pierre-Joseph, 18 ans ; Jacques Mahieu, journalier, 33 ans, né à Sirault et domicilié à Gondregnies ; et son ‚épouse, Maximilienne Paternotre, 37 ans, ouvrière, née à Silly.

Ces accusés sont poursuivis soit pour leur participation directe à l’affaire de Gondregnies, soit pour complicité et recel. Ils sont défendus par le notaire Thomeret et les avocats Vincent et Bourlard.  Devant la Cour, tous nient, sauf Nisolles qui réitère ses aveux. A l’issue de deux journées d’interrogatoires, d’auditions de témoins et de plaidoiries, le jury répond affirmativement à la plupart des nonante-quatre questions qui lui sont posées.

En conséquence de ces réponses, la Cour condamne Jean-Joseph Boulanger, Charles Nisolles, François Soudoyer, Marie-Thérèse Soudoyer, Désiré-Joseph Soudoyer, Nicolas Strebelle, François Joseph Strebelle, Pierre-Joseph Strebelle, et Jacques Mahieu à la peine de mort; Catherine Decroly et Marie-Joseph Duray à 24 ans de réclusion dans une maison de force après exposition de six heures; Catherine Soudoyer et Maximilienne Paternotre sont acquittées.

A ce prononcé‚, ce ne sont, chez les condamnés, que larmes et lamentations, sauf chez l’Anglais, qui reste stoïque, et Nisolles, apparemment indifférent.

Dans les trois jours qui suivent le jugement, les condamnés ne manquent pas cependant de se pourvoir devant la Cour de cassation qui rejettera leur pourvoi le 21 mai 1807. Boulanger, par des aveux faits en prison le 18 avril précédent, avait tenté de sauver, mais en vain, la belle Thérèse, tout en chargeant Nisolles.

Le vendredi 5 juin 1807, la guillotine est dressée dans le bas de la place de Mons, près de la rue d’Havré. Bientôt, la charrette amène au pied de l’échafaud huit des neuf condamnés, assistés des Confrères de la Miséricorde revêtus de leurs cagoules. . Thérèse et les plus jeunes condamnés sont exécutés d’abord, Boulanger en dernier lieu comme chef de bande.  Catherine Decroly et Marie-Joseph Duray subissent leur peine d’exposition le même jour.

Charles Nisolles n’est pas du voyage. La veille de sa condamnation, sa sœur Amélie avait rendu visite au juge Braconnier afin qu’il intervienne auprès du procureur impérial pour qu’elle puisse voir son frère et l’encourager à signer son recours en grâce.  

Compte tenu de ses aveux préalables et de son repentir qui paraît sincère, la Cour décide de surseoir à l’exécution et de transmettre avec avis favorable la supplication de Nisolles à l’Empereur. Celui-ci est en Pologne, au camp de Tilsitt. Deux jours avant son entrevue célèbre avec le tsar Alexandre, il ordonne par décret impérial la réunion du Conseil privé. Sur avis de celui-ci et du Grand Juge, Ministre de la Justice, Napoléon signe à Fontainebleau, le 27 septembre 1807, la commutation de la peine de mort de Nisolles en déportation à vie.

Le 13 octobre 1807, devant la Cour criminelle de Mons solennellement assemblée et composée de son président Foncez, des juges Fonson et Willems, du procureur impérial Rosier et du greffier Senault, Charles Nisolles, debout entre les gendarmes, s’entendit lire ses lettres de grâce par le procureur impérial :

« Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions de l’Empire, Empereur des Français.

Aux Président et Membres composant notre Cour de justice criminelle du département de Jemmape, séant à Mons.

Nous avons reçu la supplication de Charles Nisolles, âgé de34 ans, journalier, condamné par votre arrêt du 7 avril 1807 à la peine de mort, pour crime de brigandages, détenu à la maison de justice de Mons, aux fins d’obtenir nos lettres de grâce ; et, ayant reconnu que diverses circonstances pourraient nous porter à lui faire ressentir les effets de notre clémence, nous avons, par décret impérial daté de notre camp impérial de Tilsitt, le 23 juin 1807, ordonné qu’il serait tenu dans notre palais des Tuileries à Paris, sous la présidence de notre Cousin le prince archichancelier de l’Empire, un Conseil privé‚ dont les membres ont été nommés par nous, ainsi qu’il suit :

notre Cousin le prince archichancelier de l’Empire, président ; notre Cousin le prince architrésorier etc... Et, après nous être fait représenter le procès-verbal de la séance du dit Conseil privé tenu le 9 juillet suivant dans notre palais des Tuileries, le même procès-verbal contenant le rapport de notre grand juge Ministre de la justice et l’avis des autres membres du conseil privé ; tout vu et examiné, et voulant préférer miséricorde à la rigueur des lois, nous avons déclaré et déclarons faire grâce au dit Charles Nisolles de la peine de mort et commuer la dite peine en déportation à perpétuité à charge de garder prison jusqu’à ce que la déportation puisse s’effectuer, sans toutefois préjudicier en rien aux droits de la partie civile.

Mandons et ordonnons que les présentes lettres, scellées du sceau de l’Empire vous soient présentées par notre Procureur général près de la dite Cour en audience publique où l’impétrant sera conduit pour en entendre lecture, debout et la tête découverte, que les dites lettres soient transcrites sur vos registres etc...

Donné à Fontainebleau le 27 septembre 1807.

                                               s. Napoléon. »

Après quoi le Président Foncez lui tint un discours de circonstance qu’il terminera par ces mots : « Allez, Nisolles, allez parcourir cette nouvelle carrière dans le repentir de vos fautes ; faites oublier par une bonne conduite que vous avez été coupable, et que vos élans vers l’Etre Suprême n’aient d’autre but que d’implorer sa miséricorde pour le pardon de vos crimes et de le supplier de conserver les jours précieux de notre auguste monarque qui vient de vous arracher des bords du tombeau où vous alliez être précipité ».  

Mais Nisolles ne subira pas sa déportation : en effet, suite à des circonstances inconnues (état de guerre avec l’Angleterre empêchant le départ des navires devant transporter les déportés ou maladie de l’intéressé ?), Charles Nisolles restera emprisonné‚ à la maison de justice de Mons où il mourra en août 1813.

Catherine Decroly mourra à la maison de force de Gand.

Un des fils Soudoyer non impliqué dans cette affaire sera ouvrier dans une fabrique de velours à Amiens et un autre, Alexis, restera au pays où il vivra misérablement, repoussé par tous. Marié, il aura deux fils : l’un tombera dans la fonte en fusion aux hauts-fourneaux de Pommeroeul et l’autre sera condamné aux travaux forcés à perpétuité pour vol de grand chemin.

©  J. Declercq & C.V  - Septembre 2004  - Tous droits réservés