Un
exemple
de
recrutement
abusif
aux
Acren
en
1785
A
toutes
les
époques
de
l'histoire,
l'incorporation
des
hommes
dans
l'armée
fut
mal
perçue
par
les
populations
rurales
concernées.
On
se
souviendra
des
troubles
provoqués
sous
l'occupation
républicaine
française
par
les
levées
de
réquisitionnaires,
entre
autres
à
Lessines
le
31
mai
1796,
ainsi
que
de
la
fameuse
Guerre
des
Paysans,
provoquée
en
partie
par
la
promulgation
de
la
loi
Jourdan-Delbel
du
19
fructidor
an
6
et
l'introduction
du
tirage
au
sort
qui
bousculaient
les
traditions
et
les
habitudes
en
vigueur
dans
les
Pays-Bas
autrichiens.
Vers
le
milieu
du
XVIII°
siècle,
les
Etats
de
Hainaut
adressaient
une
requête
à
la
gouvernante
des
Pays-Bas
dans
laquelle
ils
faisaient
observer
que
la
levée
de
milices
ou
de
recrues
n'était
point
d'usage
dans
le
pays
de
Hainaut,
que
les
habitants
y
avaient
beaucoup
de
répugnance
et
que
cela
occasionnerait
des
inconvénients
en
ce
que
plusieurs
gens
des
limites
et
autres
se
porteraient
facilement
à
abandonner
le
pays
qui
n'avait
pas
assez
d'habitants
pour
son
étendue
pour
ne
pas
être
exposé
au
préjudice
de
l'agriculture.
Sous
les
Habsbourg,
la
source
du
recrutement
était
essentiellement
dans
le
volontariat,
même
si
le
tirage
au
sort
avait
été
introduit
deux
fois
dans
nos
régions:
en
1701,
sous
le
régime
anjouin,
et
en
1747-48
sous
l'occupation
française
consécutive
à
la
guerre
de
Succession
d'Autriche.
Tout
au
long
de
ce
siècle,
des
dispositions
furent
prises
par
le
pouvoir
central
pour
assurer
le
recrutement,
notamment
en
y
intéressant
les
autorités
locales
par
l'attribution
de
primes
pouvant
atteindre
à
peu
de
chose
près
le
niveau
de
la
gratification
d'enrôlement
et
de
l'indemnité
payée
lors
de
l'assentement.
Cependant
il
restait
difficile
de
compléter
les
compagnies
des
régiments
nationaux
à
l'effectif
desquels
le
simple
volontariat
ne
pouvait
suffire.
En
fait,
les
opérations
de
recrutement
furent
souvent
un
véritable
racolage;
les
recruteurs,
s'adressant
à
une
catégorie
d'hommes
dont
la
situation
était
difficile
sinon
désespérée,
leur
faisaient
miroiter
des
promesses
qui
ne
pouvaient
être
tenues
et
allaient
jusqu'à
user
de
contraintes.
Divers
édits
autorisèrent
l'incorporation
des
vagabonds
et
gens
sans
aveu.
Ainsi,
en
1779,
les
conseillers
fiscaux
des
provinces
rappelaient
aux
officiers
de
justice
subalternes
celui
du
14
décembre
1765
relatif
aux
fainéants
et
aux
vagabonds,
et
leur
faisaient
savoir
qu'ils
auraient
à
faire
connaître
à
tous
ceux
qui
seraient
arrêtés
du
chef
de
fainéantise
et
de
vagabondage,
lorsqu'ils
étaient
en
état
de
porter
les
armes,
qu'à
moins
qu'ils
ne
consentissent
volontairement
à
s'engager
pour
un
terme
de
six
ans,
ils
seraient
punis
selon
la
rigueur
des
lois;
les
officiers
de
police
subalternes
furent
en
plus
chargés
d'annoncer
à
tous
ceux
qu'ils
détenaient
dans
les
prisons
pour
des
délits
ou
des
excès
n'étant
pas
de
la
nature
des
crimes
graves
ou
énormes,
qu'ils
pouvaient
éviter
la
peine
qui
les
attendaient
s'ils
voulaient
s'engager
pour
un
terme
de
six
ans
sans
rien
recevoir
à
titre
d'engagement.
Ces
officiers
devaient
employer
tous
leurs
soins
pour
faire
enrôler
les
fainéants,
vagabonds
et
gens
sans
aveu
en
commençant
à
les
y
déterminer
par
des
moyens
de
persuasion,
ensuite
par
des
menaces,
en
finissant
par
poursuivre
réellement
sur
le
pied
de
ce
que
les
édits
prescrivaient
contre
les
gens
de
cette
trempe,
mais
il
leur
était
défendu
bien
expressément
d'user
de
toute
autre
voie
de
contrainte
ou
de
vexation.
On
imagine
sans
peine
les
abus
auxquels
pareilles
injonctions
purent
mener.
Les
opérations
de
recrutement
tenaient
parfois
du
véritable
enlèvement
ainsi
qu'en
témoigne
l'affaire
qui
se
déroula
aux
deux
Acren
et
qui
fut
portée
devant
le
Conseil
Privé
le
30
avril
1785.
Au
début
de
l'an
1785,
le
dernier
seigneur
d'Acren-Saint-Martin,
Jean-Baptiste
Taintenier,
et
son
parent,
le
premier-lieutenant
recruteur
L'Olivier
,
du
régiment
d'infanterie
de
Clerfayt,
envisageaient
ensemble
la
possibilité
de
faire
incorporer
dans
ce
régiment
quelques
habitants
d'Acren-Saint-Martin
"indésirables"
aux
yeux
de
Taintenier.
Dans
un
but
similaire,
Taintenier
écrivait
à
l'avocat
Bagenrieux,
bailli
d'Acren-Saint-Géréon,
et
obtenait
de
celui-ci
une
liste
de
personnes
de
cette
seigneurie
susceptibles
d'être
également
soumises
au
service
militaire
sur
base
des
édits
relatifs
aux
braconniers
et
gens
suspects.
Munis
de
ces
listes
de
noms,
dans
la
nuit
du
14
au
15
janvier,
douze
recruteurs,
sous
la
direction
du
lieutenant
L'Olivier
accompagné
des
sergents
des
deux
Acren,
effectuent
ce
que
l'on
appellerait
aujourd'hui
une
rafle
et
enlèvent
plusieurs
personnes.
Lorsqu'ils
arrivent
chez
Joseph
Delis,
celui-ci,
se
voyant
arrêté,
demande
à
pouvoir
passer
dans
un
grenier
au-dessus
de
l'écurie
sous
prétexte
d'y
chercher
quelque
chose
dans
son
coffre.
Etant
dans
le
grenier,
il
en
ferme
la
trappe;
mais
aussitôt,
les
recruteurs
se
mettent
à
en
percer
le
mur.
Cette
circonstance
oblige
Delis
à
se
rendre
moyennant
la
garantie
qu'on
ne
lui
donnerait
pas
de
coups.
A
Acren-Saint-Géréon,
ils
enlèvent
Bernard
Casteler
et
Adrien-Joseph
Sergent,
qu'ils
conduisent
chez
Taintenier,
sur
la
place
d'Acren-Saint-Martin,
où
se
trouvent
déjà
d'autres
personnes
arrêtées,
tant
hommes
mariés
que
jeunes
gens,
dont
Joseph
Delis
et
Louis
Du
Quesne,
fils
de
Pierre.
Là,
A-J.
Sergent
refuse
de
se
laisser
lier
et
reproche
à
Taintenier
qu'il
y
a
plus
à
redire
à
sa
conduite
qu'à
la
sienne,
sur
quoi
les
recruteurs
le
rouent
d'une
multitude
de
coups
de
bâton.
Dès
le
lendemain,
Pierre
Du
Quesne,
père
de
Louis
et
oncle
de
A-J.
Sergent,
se
rend
chez
le
seigneur
d'Acren-Saint-Martin
pour
connaître
la
cause
de
ces
enlèvements.
Taintenier
lui
déclare
que
Sergent
a
servi
de
chien
au
domestique
du
censier
Delis
à
Acren-Saint-Géréon,
c'est-à-dire
qu'ils
ont
fait
les
braconniers
ensemble.
Jusqu'au
jour
de
leur
départ,
les
personnes
enlevées
seront
gardées
chez
Taintenier.
De
là,
elles
seront
transférées
liées
et
garrottées,
en
partie
à
pied,
en
partie
en
chariots,
jusqu'au
lieu
de
leur
destination.
Lorsque
ces
gens
y
seront
présentés
au
commissaire
qui
décidera
de
leur
incorporation,
ils
ne
réclameront
pas
contre
leur
enlèvement
violent
à
cause
des
menaces
de
coups
de
bâton
et
de
la
faim
qu'on
leur
avait
fait
souffrir.
Ils
seront
ainsi
incorporés
au
régiment
de
Clerfayt.
Le
dimanche
16
janvier,
Taintenier
fait
attacher
par
son
sergent
sur
la
porte
de
la
chambre
échevinale
d'Acren-Saint-Martin
une
affiche
par
laquelle
il
notifie
qu'il
a
donné
les
mains
aux
enlèvements
faits
dans
la
nuit
du
14
au
15,
et
dans
laquelle
il
exhorte
les
blasphémateurs,
querelleurs,
ivrognes,
rouleurs
de
nuit
et
braconniers
à
se
contenir
dans
les
bornes
les
plus
étroites
de
la
décence
et
de
la
sagesse
s'ils
ne
veulent,
à
l'avenir,
le
forcer
à
pareille
extrémité.
Cependant,
malgré
cette
violence
et
cette
ambiance
de
terreur
qui
semblent
régner
alors,
certains
enlevés
vont
réagir;
remarquons
cependant
qu'ils
ne
sont
pas
d'Acren-Saint-Martin,
mais
bien
de
Saint-Géréon;
le
fait
que
Taintenier
n'ait
pas
été
leur
seigneur
a-t-il
joué
à
ce
moment?
Le
28
janvier,
Louis
Du
Quesne,
tant
en
son
nom
qu'en
celui
de
son
père
Pierre,
et
Joseph
Delis,
tous
deux
de
Petit-Acren,
portent
plainte
auprès
de
l'avocat
fiscal
de
leur
compagnie.
Suite
à
cette
plainte,
J-B.
Taintenier
est
poursuivi
par
le
fiscal
de
Hainaut
devant
le
Conseil
de
la
province.
Il
semble
que
le
caractère
de
cet
homme
ne
le
rendait
pas
enclin
à
accepter
de
telles
poursuites
puisque
très
rapidement,
il
dépose
à
Bruxelles,
devant
le
Conseil
Privé,
une
requête
dans
laquelle
il
expose
que
"pour
le
service
de
Sa
Majesté
l'Empereur,
il
s'est
prêté
aux
vues
de
L'Olivier,
premier-lieutenant
au
régiment
de
Clairfayt,
commissionné
pour
la
recrue,
qui
lui
avait
fait
connaître
que
ce
serait
faire
chose
agréable
que
de
procurer
les
moyens
de
faire
entrer
au
service
militaire
les
braconniers
et
gens
suspects
d'Acren-Saint-Martin,
que
cependant,
avant
de
rien
entreprendre
à
cet
égard,
il
avait
dit
au
lieutenant
L'Olivier
qu'il
écrirait
au
sieur
Bagenrieux,
jurisconsulte,
avocat
et
bailli
d'Acren-Saint-Géréon,
pour
savoir
s'il
pouvait
acquiescer
aux
propositions
du
premier
lieutenant
L'Olivier,
que
Bagenrieux
lui
ayant
donné
une
réponse
affirmative,
il
avait
pris
les
mesures
nécessaires
pour
donner
exécution
à
la
proposition
du
premier-lieutenant
L'Olivier,
qu'il
n'avait
pas
prévu
ni
pu
prévoir
que
son
zèle
aurait
eu
des
suites
fâcheuses
pour
lui,
qu'il
a
cependant
le
désagrément
d'être
poursuivi
par
le
fiscal
d'Hainaut
par
devant
le
Conseil
de
cette
province,
qu'il
espère
que
Sa
Majesté,
prenant
ses
bonnes
intentions
en
considération,
daignera
faire
stater
les
poursuites
qui
sont
à
sa
charge
et
l'exempter
des
frais
faits
à
ce
sujet."
A
la
réception
de
cette
requête,
le
Conseil
Privé
entame
son
enquête
et
entend
le
Conseil
de
Hainaut
qui
souligne
qu'à
la
plainte
faite
par
Louis
Du
Quesne
étaient
jointes
des
déclarations
satisfaisantes
sur
la
bonne
vie
et
mœurs
des
nommés
Sergent
et
Delis
et
qu'il
résulte
de
l'information
que
neuf
personnes
ont
été
enlevées
de
force
dans
les
deux
Acren
sur
l'indication
de
J-B.
Taintenier.
"Ceux
du
Conseil
d'Hainaut
disent
après
cela
que
pareils
enlèvements
forcés
sont
contraires
à
la
liberté
naturelle
dont
jouissent
les
sujets
de
Sa
Majesté,
liberté
à
laquelle
Elle
n'a
pas
voulu
que
l'on
portât
atteinte,
même
à
l'égard
de
ceux
qui
se
trouvent
en
but
sous
une
procédure
criminelle;
qu'il
est
sensible
qu'
une
pareille
conduite,
si
elle
était
tolérée,
est
propre
à
déterminer
les
habitants
et
tous
les
domestiques
étrangers
à
déserter
le
pays
et
à
exposer
les
cultivateurs
à
être
privés
des
bras
qui
leur
sont
nécessaires
dans
les
ouvrages
de
la
campagne,
qu'enfin
une
conduite
telle
que
celle
qu'à
tenue
Taintenier
est
propre
à
faire
prendre
les
idées
les
plus
désavantageuses
du
service
militaire
de
Sa
Majesté."
La
conclusion
de
l'avis
du
Conseil
de
Hainaut
est
que
"pour
rendre
le
calme
aux
habitants
des
deux
Acrennes
et
des
environs,
que
la
conduite
de
Taintenier
a
alarmés,
il
est
important
de
ne
pas
arrêter
le
cours
de
la
procédure,
à
moins
qu'au
préalable
Taintenier
n'ait
procuré
la
liberté
à
ceux
des
enlevés
qui
désirent
retourner
dans
le
sein
de
leur
famille
et
qu'il
n'ait
fait
paix
à
partie
avec
eux,
et
à
charge
de
payer
les
frais
et
mises
de
justice
[...].
"
Dans
son
avis
qui
fait
suite
à
celui
du
Conseil
de
Hainaut,
le
Conseil
Privé
observe
"que
les
faits
d'enlèvements
sont
établis,
que
les
enlevés
sont
tous
des
deux
Acrennes,
qu'ils
y
étaient
tous
fixement
domiciliés,
que
chacun
d'eux
y
avait
sa
profession
et
son
état,
qu'il
y
a
même
parmi
eux
quelques
pères
de
famille
dont
les
épouses
et
les
enfants
sont
sans
ressources
depuis
l'enlèvement
des
chefs
de
ces
familles,
[...],
que
presque
tous
les
enlevés
étaient
gens
de
bonnes
mœurs
contre
lesquels
il
n'y
avait
jamais
eu
de
poursuites
faites
par
le
Ministère
public,
ni
même
matière
à
en
faire,
un
excepté;
[...]."
Après
avoir
exposé
les
faits
racontés
ci-dessus,
le
Conseil
Privé
rappelle
les
diverses
mesures
prises
depuis
1765
pour
procurer
de
la
part
du
civil
les
recrues
nécessaires
pour
porter
au
complet
les
régiments
nationaux,
tout
en
insistant
sur
la
défense
à
plusieurs
reprises
réitérée
d'user
de
toute
voie
de
contrainte
ou
de
quelque
vexation.
A
l'appui
de
toutes
ces
considérations,
les
Conseillers
Privés
sont
d'avis
"qu'il
n'y
a
aucune
raison
d'accorder
la
demande
du
suppliant
qui
tend
uniquement
à
ce
que
Vos
Altesses
Royales
fassent
stater
les
poursuites
qui
se
font
à
sa
charge
devant
le
Conseil
de
Hainaut,
en
l'exemptant
au
surplus
des
frais
déjà
faits;
mais
comme
il
a
devers
lui
la
circonstance
qu'avant
de
rien
entreprendre,
il
semble
avoir
consulté
et
suivi
l'avis
du
bailli
d'Acrenne-Saint-Géréon,
Bagenrieux,
qui
est
en
même
temps
avocat,
nous
estimons
qu'en
notifiant
au
Conseil
de
Hainaut
l'éconduction
de
Taintenier,
le
bon
plaisir
de
Leurs
Altesses
Royales
pourrait
être
de
charger
ceux
du
même
Conseil
de
ne
point
prononcer
de
sentence
définitive
à
sa
charge
sans
en
avoir
préalablement
remis
le
projet
à
Vos
Altesses
Royales
et
avoir
reçu
leurs
ordres
à
cet
égard.
Quant
aux
enlevés
qui
ont
été
forcés
à
s'engager
dans
le
régiment
de
Clairfayt,
nous
pensons
que
le
général
commandant
devrait
être
chargé
de
faire
mettre
en
liberté
ceux
de
ces
enlevés
qui,
n'étant
accusés
d'aucune
faute,
demanderont
de
pouvoir
quitter
le
régiment
pour
rentrer
chez
eux,
[...]
et
nous
estimons
qu'il
doit
être
déclaré
aux
enlevés
qui,
sur
les
ordres
du
général
commandant,
auront
été
mis
en
liberté,
qu'ils
peuvent
poursuivre
leurs
dommages
et
intérêts,
s'ils
croient
en
avoir
matière,
contre
ceux
du
civil
qu'ils
trouveront
avoir
procuré
leur
enlèvement
par
des
voies
indues.
[...].
Ainsi
délibéré
au
Conseil
Privé
de
Sa
Majesté
tenu
à
Bruxelles
le
30
avril
1785."
Sur
le
premier
folio
du
rapport
est
écrite
en
marge
l'apostille
suivante:
"Nous
nous
conformons
et
le
Conseil
nous
présentera
le
projet
de
mémoire
qui
pourrait
être
communiqué
sur
cet
objet
au
général
commandant".
Nous
ne
savons
la
suite
qui
fut
réservée
à
cette
affaire
en
ce
qui
concerne
J.
B.
Taintenier,
les
archives
du
Conseil
de
Hainaut
ayant
été
détruites
à
Mons
en
1940.
J.
Declercq.
Fleurus,
novembre
1995.
|