Petites notes d'Histoire Locale

Jacques Declercq

Autour d'une lettre d'un officier anglais en 1813

- Fleurus - 1988 -

Article publié in Bulletin de la Société Belge d'Etudes Napoléoniennes, nouvelle série, n° 7, 1988.

Nous devons à l'obligeance de Mme Rougier-Bertholet de pouvoir communiquer ici le texte d'une lettre d'un officier anglais écrite à la veille de la prise de Bayonne par les troupes du duc de Wellington. Cette lettre, intéressante par son contenu, l'est aussi par la personnalité de celui qui l'a écrite, le capitaine d'artillerie Hamelin Trelawny. Elle fut recopiée par sa sœur Mary dans son journal, qui couvre la période de septembre 1812 à février 1818, alors qu'elle habitait les Cornouailles.

Hamelin Trelawny naquit à Trelawne le 16 octobre 1782. Il était le troisième fils du Révérend Sir Harry Trelawny et de son épouse Anne Browne. Il eut trois frères (dont deux furent militaires) et deux sœurs. Le 28 avril 1798, il obtient un brevet de lieutenant en second dans la Royal Artillery. Il est premier lieutenant le 2 octobre 1799 et capitaine le 28 décembre 1805.  

En février 1806, il épouse en la cathédrale de Cork Martha Rogers, qui décédera à Brighton en 1864. Il sert en Hollande en 1799 et dans la Péninsule en 1813 et 1814.

Le 10 novembre 1813, le duc de Wellington avait battu sur la Nivelle les troupes françaises du maréchal Soult et, dans la soirée, portait son quartier-général à Saint-Jean-de-Luz alors que les Français se repliaient pas à pas en combattant sur la Nive, en avant de Bayonne , où un camp retranché allait être établi. Cette ligne de défense sera attaquée dès le 9 décembre par Wellington (bataille de la Nive) et après cinq jours de combats (Saint-Pierre-d'Irrube, 13 décembre), l'armée française devra se réfugier sur l'Adour après avoir évacué Bayonne .

C'est entre la bataille de la Nivelle et celle de la Nive que le capitaine Trelawny va écrire à son père. Sa lettre est datée de Saint-Jean -de-Luz le 26 décembre 1813. En fait, il semble qu'une erreur ait été commise par sa sœur lors de la transcription de cette date et qu'il faille plutôt lire "novembre" si l'on se réfère aux événements dont il parle.

 

"Saint-Jean-de-Luz, 26 décembre 1813.

Mon Cher Monsieur,

Je profite de l'occasion du retour du paquebot Marlborough pour vous dire que je suis arrivé sain et sauf aux Grands Quartiers de l'Armée et que j'espère bientôt prendre une part active au siège de la ville de Bayonne que nous examinons pour le moment en soupirant après des logements dans ces belles maisons.

Les Français sont très occupés par la préparation de leurs conscrits pour le service. Nous les voyons s'entraîner et entendons leurs paroles de commandement. Ils sont très fermement postés en face de Bayonne dans un camp retranché, mais nous n'attendons que l'ordre de notre Grand Homme pour le prendre et conduire les Français dans la ville. Prendre cette dernière demandera un certain temps,. La citadelle est très forte.

Chaque jour nous persuade que les Français ont perdu plus d'hommes dans cette dernière affaire que ne l'affirme la gazette que vous lisez maintenant. Nous croyons qu'ils ont perdu au moins, en tués et blessés, 12.000 hommes.

Dans un terrain de tout au plus 16 acres, nous avons compté 1.300 cadavres que nous sommes occupés à enterrer dans notre propre défense, l'odeur étant intolérable.

L'armée est magnifique, très différente de celle avec laquelle j'ai servi en Hollande. Nous sommes tous égaux sous Lord Wellington pour faire n'importe quoi.

Nous manquons désespérément de fourrages. Mes chevaux et mes mules n'ont rien eu à manger depuis cinq jours, excepté une part de ma ration de pain. J'ai aujourd'hui envoyé des gens à 12 miles d'ici pour trouver un peu de foin pour eux. Dix mille animaux de toute espèce meurent chaque semaine. Les routes sont presque impossibles pour eux. Chaque branche d'arbre est en effet coupée. Pas de feuilles. C'était, au début, hideux à voir. Le sacrifice, pour notre gouvernement est alarmant.

Je suis occupé pour le moment à ramener des montagnes les fusils pris aux Français dans cette action; ils ont été chassés si vivement de leurs positions qu'ils n'ont pu emporter leurs fusils. Nous les envoyons à Saint-Sébastien, place que nous renforçons.

Je ne suis pas maître de mon temps, mais je vous prie de croire que je reste votre affectionné fils.

Hamelin Trelawny.

 

Hamelin Trelawny recevra son brevet de major le 12 août 1819 et sera nommé lieutenant-colonel le 27 mai 1831.

A l'époque du Retour des Cendres, on le retrouve à Sainte-Hélène où il commande l'artillerie de l'île. A ce titre, et à la suite d'une grave indisposition du Gouverneur, le général Middlemore, c'est lui qui présentera au prince de Joinville et à sa suite les autorités et les principaux habitants de l'île le 9 octobre 1840.

Philippe de Rohan-Chabot décrit notre homme comme "un personnage charmant et excentrique qui se prétendait cousin des Orléans par le sultan Mahmoud".

Le lundi 12, il préside un grand dîner offert aux Français par les officiers de la garnison. Enfin, après l'exhumation des cercueils de l'Empereur, c'est lui qui, le 15 octobre, escorte le char funèbre du tombeau au point d'embarquement sur la "Belle Poule": "L'immense poids du cercueil et l'extrême difficulté de la route rendaient nécessaire, pendant presque tout le trajet, une surveillance de tous les instants. M. le colonel Trelawney voulut commander en personne le petit détachement d'artillerie chargé de conduire le char et, grâce à ses soins, la translation a pu s'effectuer sans le moindre accident."

Hamelin Trelawny, nommé colonel le 23 novembre 1841, mourra le 3 mai 1846 gouverneur de Sainte-Hélène, poste qu'il occupait depuis le mois d'août 1841.

 

©  J. Declercq & C.V  - Septembre 2004  - Tous droits réservés