Augustin-Joseph DECLERCQ, tringlot de la Grande Armée

de Jacques Declercq

- Fleurus - Mai 2004 -

 Augustin-Joseph DECLERCQ, tringlot de la Grande Armée.

 

Le 3 mai 1793, dans une modeste demeure du hameau de la Glacenée, en la paroisse d’Acren-Saint-Martin, seigneurie de Grand-Acren, Anne-Joseph Berlengé, seconde épouse d’Augustin DECLERCQ, donnait la vie à son quatrième fils, Augustin-Joseph ; quatre autres fils allaient naître encore après lui.

Son père, Augustin, avait été un « censier » et étalonnier aisé jusqu’au décès, le 20 mai 1781, de sa première épouse, Marie-Elisabeth Demarbaix, qui lui avait donné deux filles et deux fils.

Un conflit s’était alors élevé entre Augustin Declercq et Jean-Baptiste Taintenier, seigneur de Grand-Acren, au sujet de la perception du droit de meilleur cattel (en l’espèce, un étalon reproducteur qui faisait la fierté d’Augustin), conflit qui allait trouver son épilogue après un coûteux procès devant la Cour des Mortemains de Hainaut en 1784. Condamné à remettre le meilleur cattel à Taintenier, Augustin allait devoir nourrir sa nombreuse famille en exploitant quelques parcelles de terrain qui lui restaient.

Augustin-Joseph, lui, journalier et tisserand, est appelé le 18 octobre 1812 à Lessines, chef-lieu du canton, pour procéder au tirage au sort des conscrits de sa classe. Le numéro 21 lui échoit et, n’ayant aucune raison d’invoquer un quelconque droit à l’exemption, il se rend à Mons le 12 novembre pour y être passé en revue et dirigé sur le corps auquel il est destiné. Il s’agit du 96ème régiment d’infanterie de ligne, qui est caserné à Thionville. Il y est incorporé le 25 novembre sous le numéro matricule 9.258 et y reste en instruction jusqu’en janvier 1813, quand il est versé dans le train d’artillerie. C’est qu’en effet il sait soigner les chevaux et conduire les voitures.

Son signalement est alors le suivant : « taille d'un mètre soixante-six, visage ovale, front rond, yeux gris, bouche et nez moyens, menton rond, cheveux et sourcils châtains, atteint de petite vérole ».

Le 20 janvier 1813, il passe donc sur les rôles de la 1ère compagnie du 11ème bataillon principal du train d’artillerie à Metz (matricule 2354) et commence une nouvelle instruction, apprenant à soigner les chevaux selon le règlement et à atteler et manœuvrer les affûts et les caissons.

Le 23 février, la compagnie quitte Metz sous la direction du lieutenant Quentin pour rejoindre, par Mayence, Francfort et les montagnes du Harz, la place forte de Magdebourg.

Elle sera attachée à la 17ème division d’infanterie (général baron Puthod) du 5ème corps (corps d’observation de l’Elbe) du général comte de Lauriston.

En mars, la division est envoyée à Stendal pour surveiller la rive gauche de l’Elbe. Le 29 mars, elle est détachée du corps d’observation de l’Elbe pour passer sous le commandement supérieur du maréchal Davout. C’est à Stendal, le 31 mars, que le matériel d’artillerie, conduit par la 1ère compagnie du 11ème B. P. T. A., rejoint la division, avec laquelle elle opèrera dans cette région sur la rive gauche de l’Elbe jusqu’à Lunebourg, repoussant les incursions des cosaques.

Le 18 mai, le général Puthod reçoit du maréchal Ney l'ordre de cesser de suivre le mouvement de Sébastiani et de se diriger vers Hoyerswerda pour rejoindre le 5ème corps. En douze jours, sans aucun repos, elle parcourra ainsi près de cinq cents kilomètres pour déboucher le 21 vers 5 heures du soir sur le champ de bataille de Bautzen et participer activement à l’attaque de Würschen puis, les jours suivants à la poursuite de l’ennemi en retraite. On traverse ainsi successivement la Neisse et la Queiss puis le Bober. Le 26 mai, la division appuie la 16ème lors du combat de Michelsdorf puis combat le 31 à Neukirch, sur la Lohe.

Le 1 juin, les troupes traversent Breslau, sur l’Oder et le lendemain, une suspension d’armes est signée entre les belligérants.

Pendant l’armistice de Pleiswitz, la division sera cantonnée dans le cercle de Goldberg et Hainau et Augustin-Joseph pourra récupérer et prendre un relatif repos. Il assistera à la remise des Aigles par l’Empereur et à la célébration anticipée de son anniversaire, le 12 août.

Les hostilités reprennent à la mi-août et le 5ème corps d’infanterie se retrouve face aux russo-prussiens de Blûcher. L’Empereur marchera très souvent avec ce corps et Augustin racontera que chaque fois qu’il paraissait devant ses troupes, tous les hommes se dressaient « comme des diables hors d’une boîte » en criant « Vive l’Empereur ».

Après avoir brillamment combattu près de Goldberg le 23 août, la 17ème division est détachée de son corps d’armée qui combat, par un temps terriblement pluvieux, sur la Katzbach, et, prise dans les inondations du Bober, elle sera totalement anéantie le 29 août devant Löwenberg.

Augustin-Joseph, avec quelques autres, parviendra à rejoindre le 5ème corps, se nourrissant pendant des jours de tiges de choux. Le personnel de l’artillerie rescapé du désastre sera alors versé au parc général du corps.

Puis ce sera la Bataille des Nations à Leipzig (du 16 au 19 octobre 1813). Augustin-Joseph sera dans les derniers à pouvoir traverser le pont de Lindenau avant son explosion.

C’est alors la retraite vers la France, au cours de laquelle il est atteint par l’épidémie de typhus, puis le dur hiver de la campagne de France qu’il fait au Grand Parc Général de l’armée ; il aura les pieds gelés dans ses bottes qu’il ne pourra ôter pendant trois mois ; quand enfin il pourra se déchausser, sa peau était noire et collait à l’intérieur de ses bottes. Pendant des mois il n’avait eu pour seul toit que les caissons et les pièces d’artillerie qu’il conduisait.

Après la chute de l’Empire, il sera renvoyé dans ses foyers comme étranger le 6 août 1814.

Il rentre alors à Deux-Acren où il reprend son métier de cultivateur. Il attendra le 12 novembre 1832 pour y épouser Amélie Cauchie, sa cadette de dix ans ; elle lui donnera deux filles et deux fils à qui il racontera ses aventures dont des bribes sont ainsi parvenues oralement jusqu’à nous.

En 1858, il recevra la Médaille de Sainte-Hélène et mourra dans sa maison du hameau de la Glacenée à Deux-Acren le jour de Noël 1870, presque trois mois après son épouse Amélie, alors que son fils cadet Joseph, qui allait devenir brigadier des gardes-champêtres du canton de Lessines, incorporé dans l’armée belge, veillait avec elle à l’intégrité du territoire national alors que s’affrontaient une fois encore la Prusse et l’Empire Français.

Jacques Declercq  

- Fleurus - Mai 2004 -

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